محبت

Pakistan

* "amour" en Ourdou

Quelques précisions sur cette langue

L’ourdou (ou urdu) est une langue appartenant au groupe indo-iranien de la famille des langues indo-européennes. Il est parlé dans le Nord de l’Inde, ainsi qu’au Pakistan, dont il est la langue officielle. En Inde, sous le nom de hindi et écrit en caractères devanagari, il est une des 22 langues officielles reconnues par la Constitution, mais ses locuteurs musulmans le nomment ourdou et l’écrivent en caractères arabes, comme au Pakistan. Plus de 165 millions de personnes utilisent l’ourdou, dont 60 à 80 millions qui l’utilisent comme première langue (12 millions au Pakistan et 51 millions en Inde).

Quelques références littéraires et cinématographiques

PAKISTAN

Le cinéma pakistanais a connu bien des aléas dus aux crises politiques qu’a traversé le pays. Qu’il s’agisse de cinéma ou de littérature, il sera très souvent question d’avant ou d’après la Partition de 1947. Il s’agit de la proclamation de l’indépendance de l’Inde et du partage de l’Empire des Indes Britanniques en deux états indépendants, l’Inde et le Pakistan, un partage qui a conduit à de dramatiques affrontements à propos du Cachemire, une région toujours contestée aujourd’hui.

CINÉMA

Avant la Partition Lahore avait une industrie cinématographique moins importante que Bombay. Lollywood, comme on appelle parfois le cinéma pakistanais – contraction de Lahore, qui a été l’un des principaux centres de production de films du pays, et de Hollywood -, a pourtant connu son âge d’or. Dans les années 1960, le Pakistan qui produisait cent à deux cents films par an pouvait s’enorgueillir d’avoir plus de mille salles de cinéma. Les stars à l’affiche étaient populaires comme le 7ème art, très apprécié de la population. Les productions étaient réalisées en urdu, punjabi ou pashto, les trois principales langues du pays. Aujourd’hui, la production n’excéde pas une quinzaine de films par an et le public n’est plus au rendez-vous. De plus la violence, qui ravage le pays depuis des décennies a entraîné la fermeture de plusieurs centaines de cinémas, la censure et le manque de moyens, ont incité beaucoup d’artistes et de réalisateurs à partir travailler en Inde, pays où l’industrie du cinéma est florissante avec environ huit cents films par an. Cependant, rien pour eux n’a été facile non plus : les deux pays étant depuis la partition des frères ennemis. En 2007, l’interdiction de diffuser des films indiens au Pakistan est levée et en échange des films pakistanais seront diffusés en Inde. L’amélioration des relations entre les deux pays a apporté au cinéma pakistanais une concurrence stimulante et une ouverture sur l’extérieur qui a permis des coréalisations et des coproductions. Depuis les années 2010 on assiste à un renouveau du cinéma pakistanais et, signe de cette renaissance du 7ème art dans le pays, le Pakistan a soumis en 2014 sa première œuvre Zinda Bhaag (Fuir vivant), réalisée par Meenu Gaur et Farjad Nabi, à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Mais en octobre 2016, la tension est revenue après les interventions de l’armée indienne dans la région controversée du Cachemire. Cette situation, nous informe RFI, a entraîné les décisions suivantes : « En pleine remontée des tensions entre les deux pays, la fédération représentant les cinémas et distributeurs de films au Pakistan a interdit la diffusion de films indiens sur son territoire. Auparavant, l’Association des producteurs indiens de films avait banni les acteurs et techniciens pakistanais des tournages de Bollywood. Force est de constater que le cinéma dans certaines parties du monde subi de plein fouet les retombées de l’actualité politique de son pays.

 

KHOEL

SHAMS LAKHANI (noir et blanc, 1959)

Noor Jehan, Aslam Pervez, Neelo, Nazar, Sahira

Une comédie musicale qui raconte l’histoire de deux amis d’enfance, un garçon et une fille, qui s’aiment tendrement et se retrouvent séparés très jeune. Elle, devient plus tard une chanteuse célèbre et grâce au succès de ses mélodies elle réussit à retrouver son premier amour d’enfance.

MUHTI BHAR CHAWALPOUR (UNE POIGNÉE DE RIZ)

SANGEETA (1978)

Dans un petit village habités par des Sikhs les traditions perdurent, souvent pour lutter contre la faim et la misère, ce qui entraine des situations particulièrement difficiles à vivre. L’héroïne, après la mort de son mari, est obligée de suivre la tradition : elle doit épouser son beau frère, même si celui-ci, de par son jeune âge, pourrait être son fils.

MERA NAAM HAI LOHABBAT

SHABAB KERANVI (1975, Nigar Award du meilleur film pakistanais en 1975)

Ghulam Mohiuddin (Hamid), Babra Sharif (Roshi)

Hamid, issu d’une famille aisée, termine ses études d’ingénieur tout en travaillant avec son père et menant la vie facile d’un gosse de riche. Quand il rencontre Roshi, une jolie jeune fille dont le père est employé dans l’entreprise de son père, les deux jeunes tombent amoureux. Ils aimeraient se marier, mais pour le père d’Hamid cette union est une mésalliance et il la désapprouve.

La situation s’envenime, il licencie le père de Roshi et chasse de chez lui son fils. Mais l’amour est plus fort et ils se marient. Hamid ne peut plus désormais avoir le même train de vie et, bien que ne recevant plus aucun soutien financier de son père, il doit achever ses études. Roshi pour l’aider travaille comme institutrice, mais bientôt atteinte d’un cancer elle cache sa maladie à sa famille et à son mari. Un classique de l’âge d’or du cinéma pakistanais.

MUJHE CHAND CHAHIJE

SHAAN (2000)

Javed Sheikh (Razi), Shaan Shahid (Zain/ Shaan), Atiqa Odho (Maima), Noor (Chand), Moammar Rana (Imram)

Razi, architecte, se retrouve au chômage, mais il est néanmoins heureux avec sa femme Maima. Enfin arrive le jour où il décroche un nouveau contrat, mais celui-ci s’avère un peu particulier : le patron lui propose par la même occasion d’épouser sa fille. Ne voulant pas perdre l’opportunité du job, et aussi par arrivisme, il accepte le double contrat… Sa femme, enceinte et désespérée, fuit le Pakistan. Leur fils Zain vit elle à Hong Kong où il est musicien. Épris de Chand, une jeune actrice pakistanaise, il se rend au Pakistan pour la retrouver. C’est une jeune fille convoitée : elle est également courtisée par Imran, un jeune un peu déjanté, timide et qui n’arrive pas à lui avouer ses sentiments. Chand trouve Zain séduisant… Lequel fera pencher son cœur ?

PINJAR

CHANDRA PRAKASH DWIVEDI (2003)

Urmila Matondkar (Puro, Hamida), Sanjay Suri (Ramchand), Manoj Bajpai (Rashid), Kulbhushan Kharbanda (Mohanial, le père de Puro) – Inspiré du roman d’Amrita Pritam

L’histoire se situe dans les années 1940, peu avant la Partition (1947), le partage de l’Empire des Indes Britanniques en deux états indépendants, l’Inde et le Pakistan, un partage qui conduit à de dramatiques affrontement à propos du Cachemire. Une famille hindoue se prépare à marier Puro, l’une de leurs filles, avec Ramchand. Mais vient le jour où Rashid rencontre Puro et devient follement amoureux d’elle. Sa famille, tenue au courant, il subit des pressions qui le conduisent à prendre une folle décision : il enlève Puro la veille de son mariage, l’oblige à l’épouser et à se convertir à l’islam. L’enlèvement d’une jeune femme hindoue, son mariage forcé, sa conversion à l’islam et sa séquestration, rendent explicite le titre du film qui signifie « la cage ». Cependant Rashid, bien qu’il ait été poussé à agir par son clan, se révèle un mari attentionné. Quant à Puro elle semble résignée à accepter cette nouvelle vie et dépourvue de la moindre énergie pour réagir et s’indigner. Puro est victime à la fois des vengeances familiales et des conflits nés de la Partition. Chandra Prakash est un réalisateur indien et le film est en langues hindi et ourdoue.

YEH DIL AAP KA HUWA (CE CŒUR EST À TOI)

JAVED SHEIKH (2002)

Moammar Rana (Falak), Javed Sheikh (Jamal Saigol), Shalem Sheikh (Chand), Veena Malik (Pinky), Sana Nawaz (Sitara), Barbar Ali (Sargul)

Falak, frère cadet de Jamail Saigol, un riche homme d’affaires pakistanais en compétition commerciale avec Sargul, vit en Espagne avec son meilleur ami Chand, dont la sœur Pinky, est amoureuse de lui mais elle s’en cache. Lors d’un voyage en Suisse Falak rencontre la ravissante Sitara, une pakistanaise, dont il tombe follement amoureux. Quand elle retourne au Pakistan, il décide de la suivre et espère bien pouvoir l’épouser. Mais rien n’est gagné ! Il va devoir affronter les rapports belliqueux entre Sargul et Jamail Sigol, Sargul ayant l’intention de marier sa sœur Sitara à Chand, le meilleur ami de Falak. Cette comédie sentimentale a connu un immense succès au Pakistan et le film a aussi bénéficié d’un succès honorable à l’international.

BOL

SHOAIB MANSOOR (2011)

Prix du meilleur film hindi dans IRDS Film awards 2011)

Manzar Sehbai (Hakim Sahib), Humaima Malick (Zainab), Atif Aslam (Mustafa), Mahira Khan (Ayesha), Iman Ali (Meena), Shafqat Cheema (Saqa), Manzar Sehbai (Hakim)

Shoaib Mansoor, après avoir été un auteur compositeur et avoir écrit, produit et dirigé des émissions de télévision, est venu à la réalisation et il est considéré aujourd’hui comme l’une des figures majeures du cinéma pakistanais. Si ce film dramatique ne raconte pas une histoire d’amour, il parle de tous ce qui est lié au patriarcat dans les relations du mariage, du couple et des enfants. Zainab va bientôt être pendue. Elle raconte son histoire aux médias avant son exécution. Avec « Bol » le cinéaste affronte très courageusement la douleur universelle d’une mère sans enfant ou avec un enfant indésirable. Ce film où se mêle amour, convoitise, sexe, trahison, violence et cupidité, aborde et dénonce plusieurs problèmes pertinents de la société pakistanaise : le blâme des femmes qui ne mettent pas au monde un garçon, le rejet des filles, la soumission des femmes. Un film fort, dur et provocateur qui participe à l’espoir de faire bouger les mentalités. Cette histoire est celle de nombreuses familles pakistanaises : « Chaque femme au Pakistan peut s’identifier à mon rôle » déclare Humaima Malick, l’actrice qui tient le rôle de Zainab, une des sœurs de Saifu.

Le film a repris des problèmes dans notre société : « les femmes opprimées, comment les femmes doivent se comporter, le rejet des eunuques et ainsi de suite », confie Mahira Khan, qui interprète une autre sœur de Saifu.

 

LITTÉRATURE

Quelle ne fut pas ma surprise quand je me suis intéressée à la littérature ourdoue de découvrir que cette langue était enseignée à Paris à l’INALCO (l’Institut national des langues et civilisations orientales) et que le poète français Julien Columeau, qui avait d’abord envisagé de se rendre en Inde pour apprendre l’hindi, avait finalement décidé, après avoir jugé cette langue « trop bureaucratique », d’apprendre l’ourdou. Maîtrisant cette langue, il est venu au Pakistan en tant que traducteur pour la Croix-Rouge. En 2005, après le terrible tremblement de terre survenu au Cahemire, il a publié son premier recueil de poèmes en ourdou Zalzala (séisme). Le grand écrivain Intizar Hussain, qui nous a récemment quitté, n’avait pas manqué de signaler la singularité de ce français qui écrit, romans, poèmes et nouvelles en ourdou : « de façon si audacieuse que parfois, j’ai peur que ses livres soient interdits. Sa manière de s’exprimer va bien au-delà de ce que nous évoquons d’habitude, et s’inscrit dans la lignée de Manto» (Actualitte 22/11/2014)

Ashfaq Ahmad et Intizar Hussain, tous deux nés en Inde et considérés comme deux figures emblématiques de la littérature ourdoue ont fait le choix – parmi les autres langues (hindi, penjâbi, sanskrit) parlées dans l’espace indo-pakistanais – de l’ourdou comme langue de plume. Intizar Hussain (1923-2016), est l’un des premiers auteurs ourdouphones à avoir obtenu une reconnaissance internationale. Auteur prolixe, à la fois romancier, chroniqueur, biographe et éditorialiste, il a publié des livres aussi divers que le roman « Basti », le recueil de nouvelles « The Water Spirit » ou la fable historique « The Death of Sheherzad ». Francophile, ami de la France et de sa culture, l’ambassadeur de France lui a remis à Lahore en 2014, la médaille d’Officier des Arts et des Lettres en tant que : « fervent défenseur du dialogue entre la littérature moderne au Pakistan et celle de la France contemporaine. » Marqué par le réalisme de Maupassant et de Flaubert, il a traduit en ourdou des auteurs français contemporains comme Jean-Paul Sartre, Albert Camus et André Gide. Intizar Hussain a signé 5 romans et 7 recueils de nouvelles, mais aucun de ses livres n’est disponible en français. (AFP, 2016)

Les spécialistes reconnaissent à la littérature pakistanaise trois héritages, arabe, persan et ourdou. Elle remonte au XIVè, époque des daastaans (longues épopées) à l’origine en persan et diffusée par les conteurs. Mais dans la littérature ourdoue la prose a au fil des époques cédé la place à la poésie, devenue l’expression la plus importante à partir du XVIè siècle, et qui a atteint son apogée au XIXé siècle. Dans son ensemble cette littérature reste méconnue et peu traduite, même si un certain nombre d’auteurs pakistanais contemporains sont traduits dans plusieurs pays et ont atteint aujourd’hui une renommée internationale. L’écrivain Nadeem Aslam, refugié à Londres, aime rappeler avec une certaine fierté que dans la conférence prononcée à l’occasion de la réception de son prix Nobel, J.M.G. Le Clezio a évoqué parmi les chefs d’œuvre de la littérature internationale qui l’ont nourri et marqué,  l’épopée  Ag ka Darya (River of fire, Rivière de feu), écrite en ourdou par la romancière Hyder Qurratulain, parue à Lahore en 1959 et traduite par elle-même en anglais en 1998. Une épopée remarquable, dont l’histoire commence en Inde au 4ème siècle après J-C et s’achève dans l’Inde de nos jours, en passant par l’époque de l’extension du bouddhisme, de l’ère islamique, et de l’époque coloniale. Cette œuvre majeure a souvent été comparée à celle des romanciers Gabriel García Márquez et Milan Kundera. Qurratulain Hyder (1928-2007), véritable icône littéraire en Inde et au Pakistan, a reçu le Bharatiya Gnapinth, le plus haut prix littéraire de l’Inde, en 1989. Le Pakistan ayant deux langues officielles, l’anglais et l’ourdou, la littérature pakistanaise est présenté dans ces deux langues

ROMAN

MIRZA HADI RUSWA (1857-1931)

Umrāo Jān Adā (1905)

Ce roman, inspiré de la vie au XIXè siècle d’une courtisane célèbre de Lucknow, a été publié en 1899 et trois films (1972, 1981, 2006) ont été réalisés à partir de cette histoire. La jolie petite Amiran, âgée d’une dizaine d’années est enlevée à sa famille pour être vendue à une maison de plaisirs et devenir une courtisane, sous le nom de Umrāo. On lui apprend à lire, à chanter des poèmes, à danser et bien sûr à séduire les hommes. Un jour elle trouble un prince et ils tombent amoureux mais, avec son statut, il ne peut épouser une courtisane. Le prince en épouse une autre et, profondément malheureuse, Umrāo décide de s’enfuir. Mais peut-elle réellement échapper à son destin ? Au fil des jours elle va réaliser que ceux qui l’ont enlevée lui ont volé sa vie.

Elle comprend que tout s’est joué ce jour là. Son destin a basculé, et si elle n’avait pas été jetée dans cette maison close, elle aurait pu avoir une vie d’épouse respectée.

MUNSHI PREMCHAND (1880-1936)

Célèbre romancier et nouvelliste, Munshi Premchand est un auteur de langues ourdoue et hindi qui se rattache à la génération d’écrivains progressistes, héritiers des idées de Gandhi. Dans son roman Premchand Hamkhurma-o-Hamsavab (Prema en hindi), il s’interroge et explore le thème du remariage pour une veuve. Son héros Amrit Rai, passe outre l’opposition sociale et renonce à Prema, sa jolie fiancée fortunée, pour épouser la jeune veuve Poorna. Dans son deuxième roman Mirvala (la seconde épouse) Munshi Premchand s’intéresse au système de la dot en Inde. Le roman, qui se situe dans la première moitié du XIXè siècle, dénonce déjà à l’époque les drames engendrés par cette coutume. Aujourd’hui, bien qu’elle soit interdite depuis 1961 en Inde, elle continue à se pratiquer car viscéralement ancrée dans le système social. En septembre 2013, un article publié dans le magazine Elle avait pour titre : « la dot, une coutume qui tue une femme par heure en Inde », montre à quel point cette coutume continue à générer des conflits humains et des drames familiaux.

NOUVELLE

Dans la littérature ourdou la nouvelle est un genre majeur et parmi les écrivains considérés les importants citons : Saadat Hassan Manto, Ismat Chughtai, Krishan Chander, Ashmaq Amhad, dont la nouvelle la plus connue est Gadariya (Le berger), et aussi Intizar Hussain, auteur d’environ 125 nouvelles en ourdou.

SADAT HASSAN MANTO (1912-1955)

Né à Lahore Saadat Hassan Manto est considéré comme le maître de la nouvelle dans la littérature ourdoue, le plus novateur des années 1930-1950, tant en Inde qu’au Pakistan. Son œuvre reste peu traduite en français. Sa vie, trop brève, a été traversée par des bouleversements politiques (la montée nationaliste face à l’Empire britannique, indépendance et drame de la partition en 1947) et religieux, qui ont entrainé de terribles massacres entre hindous et musulmans. Il est l’auteur de 250 nouvelles : « aiguisées comme la lame d’un poignard », et leur publication pour la première fois en France a représenté un événement littéraire. Passionné de théâtre et de cinéma, il a écrit 5 recueils de pièces radio et une douzaine de scénarios. Les ravages de l’alcool l’entraîneront à sa perte. Âgé d’à peine 44 ans, il avait pris le temps de rédiger sa propre épitaphe : « Ci-gît Hassan Manto et dans son cœur l’art et le mystère de la Nouvelle. Il est couché sous une tonne de terre se demandant toujours qui de Dieu ou de lui en est le maître. » Il fait partie de ces écrivains célèbres dans une partie du monde et inconnus ailleurs.

Cette fille là

(éd. Bleu autour, 2008) – Trad. Anila Gil

« À quatre heures et quart passées, la chaleur était aussi intense qu’à midi. En sortant sur le balcon, il vit dehors une fille assise en tailleur qui se protégeait du soleil à l’ombre d’un grand arbre. Elle avait le teint tellement foncé qu’elle se fondait dans l’ombre. Surinder eut immédiatement envie d’être près d’elle, même si, par un temps pareil, on ne pouvait désirer la proximité de personne. »

Mozail

(éd. Dédale, 1999) – Trad. Annie Montaut

Cette nouvelle qui date de 1951 se situe au cœur des émeutes de la partition (1947). Mozail, une jeune femme juive de Bombay, aide, au prix de sa vie Trilochan, son ancien amant sikh, à sauver sa fiancée et sa famille qui vivent dans un quartier ravagé, mis à feu et à sang par des activistes musulmans.

 

Toba Tek Sing et autres nouvelles

(éd. Buchet- Chastel, 2008) – Trad. Alain Desoulières

Toba Tek Sing est sa nouvelle la plus connue, elle est aussi l’une des plus étranges que l’écrivain ait consacré à la partition de l’Inde et du Pakistan. Il s’agit de l’échange d’aliénés entre les deux pays. Le style, à la fois tragique et grotesque, tourne en dérision l’évènement historique en choisissant de mettre en situation d’incroyables personnages regroupés dans un asile de Lahore où sont détenus des prisonniers. Certains sont sur le point d’être transférés vers l’Inde suite à l’Indépendance du Pakistan en 1947. Cette nouvelle, dont vous trouverez ci-dessous des extraits, présente une puissante satire sur la relation entre les deux pays

Extraits de « Toba Tek Singh » – Une traduction proposée par les étudiants Simon Frey, Alia Gilliéron, Zoé Guinand et Lauriane Vernez, de la « Section de langues et civilisations slaves et de l’Asie du Sud de l’Université de Lausanne » (SLAS) dans le cadre de leur cours d’ourdou.

Quelques années après la Partition, il vint à l’idée des gouvernements du Pakistan et de l’Inde d’échanger les fous de la même façon que les prisonniers ordinaires ; autrement dit, les fous musulmans qui étaient dans les asiles de fous seraient emmenés au Pakistan et les hindous et les sikhs seraient remis à la charge de l’Inde (…)

Un fou pris dans le cercle vicieux Pakistan-Inde, Inde-Pakistan, devint encore plus fou. Un jour, alors qu’il était en train de balayer le sol, il grimpa dans un arbre et s’assit sur une branche. Deux heures d’affilée, il prononça un discours sur les subtils problèmes du Pakistan et de l’Inde. Lorsque les gardiens lui dirent de descendre, il monta encore plus haut. Menacé, il prit peur et dit : « Je veux rester en Inde, pas au Pakistan. Je ne bougerai pas de cet arbre. »

Après de grandes complications, quand il se calma, il descendit et, embrassant ses amis hindous et sikhs, se mit à pleurer. Il avait le cœur gros à l’idée que ses amis partent en Inde et l’abandonnent (…)

Un jeune avocat hindou de Lahore, malheureux en amour, devint fou. Lorsqu’il entendit qu’Amritsar était revenue à l’Inde, une grande peine l’envahit, car il était tombé amoureux d’une fille hindoue de cette ville. Même si elle l’avait rejeté, il ne l’avait pourtant pas oubliée dans cet état de folie. Ainsi, il maudit tous ces leaders hindous et musulmans qui avaient conspiré pour le partage de l’Inde. De ce fait, sa bien-aimée était Indienne, et lui Pakistanais (…)

Chaque fois qu’on parlait de l’Inde, du Pakistan et de l’échange des fous dans l’asile, il écoutait attentivement. Quand certains lui demandaient quel était son avis, il répondait alors avec grand sérieux : « Upar di gur gur di annex di be-dhyana di mang di dal of the Pakistan goverment. » Mais par la suite, à la place de « of the Pakistan government » il utilisa « of the Toba Tek Singh government » et il commença à demander aux autres fous où était Toba Tek Singh ; là où il avait habité à l’époque. Mais personne ne savait si ce village se trouvait au Pakistan ou en Inde. Ceux qui essayaient de l’expliquer étaient eux-mêmes pris dans cette confusion, parce que Sialkot était auparavant en Inde, mais maintenant, on entendait dire que c’était au Pakistan. Comment pouvait-on savoir si Lahore, qui était aujourd’hui au Pakistan, ne reviendrait pas à l’Inde demain ? Ou si toute l’Inde deviendrait le Pakistan ? Qui pourrait mettre sa main sur sa poitrine en jurant que l’Inde et le Pakistan n’auront pas finalement disparu un jour ? (…)

A l’aube silencieuse, un cri à déchirer les cieux sortit de la gorge de Bishen Singh. Quelques officiers vinrent en courant d’ici et là et virent que l’homme, qui était resté debout jour et nuit pendant quinze années, était face contre terre. D’un côté, derrière un fil barbelé, se trouvait l’Inde et de l’autre côté, derrière le même genre de fil, se trouvait le Pakistan. Au milieu, sur ce bout de terre sans nom, gisait Toba Tek Singh. »

 

RAJINDER SINGH BEDI (1915-1984)

Plusieurs écrivains non musulmans et rédigeant en ourdou, comme Munshi Premchand (1880-1936), Krishna Chander (1914-1977) et Rajinder Singh Bedi (1915-1984), traitent des sujets se rattachant à l’injustice, la pauvreté, l’inégalité sociale et la fissure au sein du peuple indien après la partition de l’Inde.

Ek chakar maili si

Avec cette nouvelle très célèbre, Rajinder Singh Bédi a remporté en 1965 le « Sahitya Akademi Award » (Prix de l’Académie des belles lettres en Inde). L’écrivain avait souhaité porter cette histoire à l’écran avec l’actrice Geeta Bali, mais son décès prématuré à 35 ans a mis un terme à son projet. En 1986, le cinéaste Sukhwant Dhadda en a fait un film.

C’est l’histoire dramatique de Ranno, mariée à Trilok, un ivrogne, avec qui elle a eu deux enfants. Si sa belle-mère l’a déteste, et ne manque pas de lui rappeler constamment que l’apport de sa dote était insuffisante, son beau-père en revanche l’a soutient. Un jour son mari, accusé du viol d’une jeune fille, est assassiné par le frère de cette dernière ivre de colère. Désormais veuve, sa situation misérable ne fait que se dégrader au sein de sa belle famille. Elle se voit contrainte, selon la tradition, mais aussi pour survivre, d’épouser Mangal, son beau frère, qui pourrait être son fils. Mais Raaji est amoureuse de lui … 

Lajvanti

Le titre de cette fameuse nouvelle qui signifie « la pudique » est aussi le nom de l’héroïne qui se retrouve soudain souillée par un viol, causé par des « étrangers » assoiffés du sang de « l’autre », nous dit Anne Castaing. La fraternité qui existait jusqu’à la partition éclate soudain par une « souillure », une idée qui sera souvent véhiculé par la littérature. Rajinder Singh Bedi explore le sort des femmes enlevées lors de la violence et du bouleversement de la partition.

POÉSIE

Si la poésie ourdou a fleuri au XVIè siècle, c’est surtout à partir du XVIIIè siècle qu’est née une poésie riche, délicate et savante, aux formes très élaborées, appelée « ghazal ». Le mot d’origine arabe, signifie « conversation avec une femme », en français le ghazal se rapproche de la poésie courtoise et très approximativement du sonnet. Il s’agit d’un bref poème d’amour de deux vers, qui obéit à des règles de composition stricte.

Dans le ghazal ourdou : « Les poètes utilisent des variations sur le jardin, surtout comme une source inépuisable de métaphores et de symboles pour l’expression de l’amour humain, de la foi mystique ou d’autres thèmes, tels que l’art poétique. » (Denis Matringue) L’art du ghazal continue à se pratiquer aujourd’hui non seulement en Iran (farsi), au Pakistan (ourdou) et en Inde (ourdou et hindi). Si les poètes ourdous sont nombreux trois d’entre eux, Mirzha Ghâlib, Muhammad Iqbal et Faïz Ahmed Faïz, sont considérés par les spécialistes comme des poètes majeurs.

 

ALAIN DÉSOULIÈRES

Anthologie de la poésie ourdoue, reflets de ghazals

(éd. Buchet-Chastel, 2006)

Alain Désoulières, chercheur et professeur de langue ourdoue et d’histoire de l’Inde à l’INALC0, a réussi la délicate tâche de nous rendre accessible le ghazal. Si la poésie classique persane est relativement familière aux amateurs de ce genre, il est probable que la richesse de la langue ourdoue, et principalement de la poésie lyrique du ghazal, soit pour la grande majorité, terra incognita. Ce recueil présente un choix parmi les meilleurs poèmes de cette langue, depuis le XVIIIème siècle jusqu’à nos jours. Le ghazal se compose le plus souvent de 5 à 15 couplets de deux vers chacun, des distiques appelés sher. Chacun de ces couplets est considéré comme une entité indépendante au point de vue du sens. Un ghazal est donc composé d’un ensemble de shers et chaque couplet doit être un poème en lui-même, c’est pourquoi on les compare parfois aux perles d’un même collier.

Parmi les ghazals des célèbres poètes du XVIIIè siècle Mîr Taqî (1722-1810) a composé une poésie très sensible, le plus souvent marquée par la tristesse consécutive à un amour malheureux :

L’Amour n’est que fraicheur d’action et de pensée,

Toujours et en tout lieu il est nouveauté pure.

Il est l’oiseau afghan parfois parmi les roses,

Et parfois le collier au cou de la colombe.

Il est tantôt soupir où se lit le regret,

Tantôt aussi regard où brille le désir.

Ghazals « la rivière d’amour »

Mîr Taqî (1722-1810) Trad. D. Matringue

 

MIRZHA GALIB (1797-1869)

Mirzha Galib, considéré comme l’un des plus éminents poètes en langue ourdoue, écrivait également en persan. 0riginaire d’Agra, il vit à Delhi où il tente de survivre grâce à ses talents littéraires. Fréquemment invité à la cour du roi Bahâdur Shâh Zafar, lettré et poète lui aussi, il participe à des joutes poétiques appelées mushaira où les intervenants déclament leurs textes chacun à leur tour, au moment où une lampe rituelle est placée devant eux. D’un point de vu sentimental sa vie a été compliquée, il a eu cinq enfants décédés prématurément et il a aimé deux femmes : Umrao, son épouse, et la courtisane Nawab Jaan, qui éprouvait une telle admiration pour le poète qu’elle alla jusqu’à inscrire son nom au henné sur les paumes de ses mains. Si ses ghazals sont célèbres, ses lettres le sont aussi et elles ont fait l’objet d’une publication en deux volumes. Ses ghazals, toujours chantés aujourd’hui, continuent à impressionner les amateurs de poésie. Souvent mélancoliques ils expriment les sentiments, l’amour, la séparation, l’attente… Malheureusement il n’existe pas à ce jour de traduction française.

MOHAMMAD IQBAL (1877-1938)

Poète et philosophe, son talent s’exerça aussi bien en poésie qu’en philosophie, et on lui reconnaît une grande maîtrise en prose et en vers, en ourdou et en persan. Une anthologie posthume, Armughān-i Hdjāz présente ses poèmes dans les deux langues. Né à Sialkot au Pendjab en 1877, il est issu d’une famille de brahmanes du Cachemire convertis à l’islam. Grâce à ses talents d’écriture décelés très jeune il a eu très tôt l’occasion de côtoyer les grands maîtres de la poésie ourdoue. Il s’installe à Lahore, un grand centre culturel et intellectuel, suit des études universitaires puis séjourne pendant trois ans en Europe où il enseigne l’arabe à Londres. De retour à Lahore en 1908, il abandonne l’enseignement de la philosophie et de littérature anglaise pour se consacrer principalement à la vie politique de son pays. Quand à soixante ans, il sent sa fin proche il écrit ce quatrain devenu célèbre : « Lorsque je quitterai ce monde, Chacun dira « Je l’ai connu. » Mais la vérité est, hélas ! Que personne ne savait qui était cet étranger ni d’où il venait. » Surnommé le poète de l’Orient (Shair-i-Mashriq), il est considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands écrivains du monde musulman. À propos de son œuvre, philosophique et poétique,  il disait : « Quand elle est dépourvue de flamme, la vérité est philosophie; elle devient poésie quand elle emprunte sa flamme au cœur. » Nombreux sont ses textes qui démontrent la nécessité de repenser la doctrine islamique sous le seul signe de l’Amour qui est, selon lui, aussi bien d’Orient que d’Occident : « Quand l’amour accompagne l’intelligence, il devient l’architecte d’un autre univers. » Iqbal défend l’idée que l’homme ne peut s’épanouir que dans un climat de liberté, car l’esclavage empêche toute possibilité de création. Il aimait dire : « Mon être était semblable à une statue inachevée ; L’amour m’a ciselé : je suis devenu un homme !

Le célèbre poète indien Rabindranath Tagore, qui a bien connu Iqbal, l’évoquait en ces termes au lendemain de sa mort : « La mort de M. Mohammad Iqbal creuse dans la littérature un vide qui, comme une blessure profonde, mettra longtemps à guérir. L’Inde, dont la place dans le monde est trop étroite, peut difficilement se passer d’un poète dont la poésie a une valeur aussi universelle ». Une grande partie de son œuvre a été traduite en français dans les années 1950-1960 par Eva de Vitray-Meyerovitch (1909-1999). Selon Denis Matringe (chercheur au CNRS, traducteur en ourdou et penjâbi, spécialiste des littératures de l’Inde du nord et du Pakistan) : « Les poèmes d’Iqbal en ourdou étaient, pour tant d’entre eux, d’une telle beauté, d’une telle perfection poétique, d’une telle élévation de pensée, d’un ton si prophétique et transportant, que l’on continue à les réciter et à les chanter avec une émotion intense. »

Choix de textes

Luce-Claude Maître

(éd. Seghers, coll. Poètes d’aujourd’hui, Paris)

Le soleil est dans mon cœur, les étoiles se cachent dans les plis de ma tunique.

Si tu me contemples, je ne suis rien ; si tu regardes en toi, je suis toi-même.

Dans les villes et dans les campagnes, dans les palais et dans les chaumières,

Je suis la douleur et ce qui l’apaise, je suis la joie infinie.

Je suis l’épée qui déchire l’univers, je suis la Source de Vie.

Les Gengis Khan et les Tamerlan ne sont qu’une poignée de ma poussière,

Le bruit et la fureur de l’Europe ne peuvent rivaliser avec le plus infime de mes échos.

L’homme et son univers ne sont que l’une de mes esquisses,

C’est avec le sang de son cœur que je colore mon printemps.

Je suis flamme ardente, je suis divin paradis.

Ô étrange mystère ! Je suis à la fois immobile et en marche,

L’éternité se reflète dans ma coupe éphémère.

 

FAIZ AHMAD FAIZ (1911-1984)

Si Faiz Ahmad est considéré avant tout comme un lyrique, il s’est révélé aussi comme un poète engagé et révolutionnaire, qui a toujours lutté pour la liberté, en témoignent sa vie mouvementée et ses nombreux séjours en prison. Né en 1911 à Kala Kader, proche de Sialkot au Pendjab, il fait ses études à Lahore où il obtient une licence de littératures anglaise et arabe. En 1936 il rejoint le mouvement des écrivains d’inspiration socialiste et marxiste. De 1938 à 1946, il édite une revue littéraire ourdoue Adab-e-Latif, en 1941 il épouse Alys George, une britannique, avec laquelle il a deux enfants et cette même année il publie un premier recueil de poésie Naqsh-e-Faryadi. Au moment de l’indépendance (Partition de 1947) le poète choisit le Pakistan et retourne s’installer à Lahore où il fonde deux journaux progressistes. Puis, de par son engagement politique, Faiz Ahmad est accusé de faire parti d’un complot pour renverser le gouvernement de Liaqt Ali Khan. Arrêté, passible de peine de mort, il est emprisonné et tenu en cellule d’isolement sans avoir le droit d’écrire.

Libéré au bout de quatre ans, il publie deux recueils Dast-e-Saba (La Main de la brise) et Zindan-Nama (Journal de Prison) écrits en prison où il avait finalement été autorisé à avoir du papier et un crayon. Emprisonné à nouveau pour un temps assez court en 1958, il reçoit en 1962, le Prix Lénine pour la paix. En 1977, il quitte le Pakistan après le coup d’état militaire du général Zia. Après un exil de cinq ans, où il voyage en Europe et vit au Liban, il rentre au Pakistan en 1982 où il meurt deux ans plus tard. Son œuvre traduite en français est rare, alors qu’il est reconnu aujourd’hui comme le plus grand poète pakistanais contemporain.

Poésie

Faiz Ahmed Faiz

éd. Seghers/UNESCO, 1979) – Trad. Laiq Babree

Cet ouvrage devenu rare aujourd’hui mériterait une réédition. Laiq Babree, son traducteur, confie à propos de sa poésie : « que la conscience politique se marie chez lui avec la conscience poétique d’une façon si harmonieuse que la protestation la plus véhémente contre les injustices revêt la dignité d’un chant ».

« Ton souvenir descend… »

Ton souvenir descend

Cette nuit

Dans mon cœur,

Comme descend

Le printemps

Sur les vastes ruines,

Comme doucement marche

La brise

Sur les sables immobiles,

Comme le calme immense

Qui revient sans raison

Chez l’agonisant.

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