عشق

Afghanistan

* "amour" en Dari

Quelques précisions sur cette langue

Le dari (ou persan afghan, farsi oriental) est une variété du persan parlée en principalement Afghanistan où il est parlé par 26 % de la population (environ 7 millions de locuteurs) et dont il est langue officielle avec le Pachtou.

Quelques références littéraires et cinématographiques

AFGHANISTAN

Depuis le milieu du XIXè siècle jusqu’aux années 1960, époque du reporter qu’était Joseph Kessel, l’Afghanistan a toujours fasciné l’imaginaire des Français. Ses reportages aux quatre coins du monde étaient, disait-il, comme une « école du romancier », et ils nourrissaient ses romans. Dès son premier voyage en 1967, Kessel est conquis par ce magnifique pays qui lui inspire des récits auxquels il donne une dimension épique qui me fascine. Moi-même, à cette époque, je commençais des études d’histoire de l’art et d’archéologie et je découvrais avec passion et curiosité les travaux des archéologues de la DAFA (la Délégation Archéologique Française d’Afghanistan), créée en 1922, à l’instigation du roi d’Afghanistan, désireux d’établir des relations diplomatiques entre nos deux pays. Aujourd’hui, la DAFA travaille en étroite collaboration avec ses partenaires institutionnels locaux et des institutions internationales telles que l’UNESCO. Depuis 2015, la DAFA a également été sollicitée par le gouvernement afghan afin de mettre en place la Carte Archéologique de l’Afghanistan. Parmi les projets les plus récents, la DAFA s’est investie dans les fouilles et prospections de la citadelle de Shahr-e Gholgholah à Bâmiyân et la mosquée de Moussala à Hérat. Longtemps j’ai rêvé qu’un jour je ferais le fameux voyage de la Route de la soie, reliant la Chine et l’Inde au monde occidental, et que je ferais halte à Bâmiyân pour admirer les fameux bouddhas, trois statues monumentales creusées dans la falaise et considérées comme l’un des trésors archéologiques de l’Asie. Depuis quelques décennies les conflits subis par l’Afghanistan ont suspendu ce rêve et le but des voyages entrepris par les Français et les Afghans entre nos deux pays a changé. Les écrivains voyageurs en quête d’aventures, ont cédé la place aux French Doctors, (médecins, infirmiers), qui ont participé à l’engagement humanitaire français en Afghanistan. Ils ont aussi cédé la place à un autre type de journalistes que ceux de l’époque de Kessel, il s’agit bien souvent de journalistes entrés clandestinement dans le pays, capturés et emprisonnés comme Jacques Abouchar, qui livrent le récit de leur captivité (1984). Ou encore comme le cinéaste reporter Christophe de Ponfilly, qui a reçu le prix Albert Londres, et consacré onze films, souvent au péril de sa vie (Vies clandestines. Nos années afghanes, Massoud, portrait d’un chef afghan, Kaboul au bout du monde) et quatre livres (Poussières de guerre, Les Gobeurs de lune) sur l’Afghanistan. Quant aux afghans qui viennent en France depuis les années 1980, c’est l’exil qui les a conduit jusqu’à nous.

Il est temps maintenant, après cette longue introduction, d’évoquer le cinéma afghan et de voir que, malgré les aléas de l’histoire, les échanges culturels entre nos deux cultures se poursuivent à travers le 7ème Art. En témoigne le « Festival des Trois Continents » de Nantes qui en 2004, présentait l’intégrale du cinéaste afghan Siddiq Barmak et en 2015 invitait Marina Golbahari – l’actrice afghane devenue célèbre grâce au rôle-titre d’Osama (Siddiq Barmak, 2003) – en tant que membre du jury.

CINÉMA

Le célèbre « Festival des Trois continents » à Nantes a réussi, malgré les nombreux films qui ont été détruit, à programmer en 2004 « Une histoire du cinéma afghan ». À cette occasion le festival présentait «  Une brève histoire du cinéma afghan », extraite d’un discours prononcé  par le réalisateur Siddiq Barmak, dont je vous présente ici un résumé. Le cinéma afghan remonte aux années 1900, époque où Amir Habdullah (1901-1919) introduit le 7ème Art à la cour royale et où son successeur Amir Habdullah Khan (1919-1929) présente au public le premier film muet (1923-1924), suivi essentiellement d’un cinéma européen. De 1929 à 1933 les cinémas, à la demande du clergé, sont fermés. À l’issue d’une période trouble, Zahir Shah monte sur le trône et les salles obscures renaissent, avec une programmation surtout indienne. Dans le premier film afghan Amour et amitié (1946), le rôle des femmes est tenu par des indiennes, ce qui n’est guère surprenant puisqu’au Théâtre de Kaboul, les rôles féminins y étaient interprétés par des hommes. Mais l’État afghan ne souhaitant pas financer, donc développer, cette expression artistique, la production s’arrête. Quand en 1968 l’Organisme afghan du cinéma est fondé par des fonds américains, l’assistance technique a été formée en Russie et en Inde. Dans les intrigues de nombreux films réalisés, s’immiscent des facteurs sociopolitiques. Après la révolution de 1978 et jusqu’en 1986, le cinéma sert d’outil de propagande et la censure est stricte. Sous la présidence de Mohammad Najibullah (1987-1992), la censure est moins rigoureuse, les films sont moins teintés de connotation politique et l’on assiste à une légère renaissance du cinéma afghan. C’est à cette époque que trois des cinéastes les plus connus, font leurs premières armes : Siddiq Barmak avec trois courts métrages Diwar (1983), Daira (1985), Stranger (1987) ; Abdel Wahed Nazari, avec un long métrage Lahzara (1983) et Latif Ahmadi avec Akter le bouffon (1981), Gonah (1983) et Hamaseh Ishq (1986).

Cette période (1980-1990), souvent considérée comme l’âge d’or du cinéma afghan, sera de courte durée. En effet, les luttes intestines entre moudjahiddin vont inciter les cinéastes à quitter leur pays et leur exil conduit à la fin de la production afghane. Quand les talibans arrivent au pouvoir en 1996, leur première initiative est de détruire les cinémas et de brûler tous les films. En 2001, toute référence au riche patrimoine culturel du pays et à la représentation figurative doit disparaître : Les bouddhas géants de Bâmiyân, un patrimoine exceptionnel, sont détruits, et les tentatives de destruction visent aussi le Musée National, les archives du cinéma afghan, la radio et la télévision. Issaq Nizami, directeur de Radio TV Afghanistan : «  décide de cacher une grande partie des archives cinématographiques avec l’aide de huit membres de son personnel ». En novembre de cette même année le régime taliban s’écroule.

Si dans les années 1970, il existait à Kaboul 31 cinémas (source RFI), en 2002 on n’en comptait plus que 7. Après ces années terribles où tout divertissement était prohibé, l’Association « Un cinéma pour Kaboul » soutenue par un groupe de cinéastes européens, est créée afin de rouvrir les portes de « l’Ariana », la plus grande salle de cinéma de la ville. D’une capacité de 600 places, datant de l’époque soviétique et à l’abandon depuis 25 ans, l’Ariana a été entièrement réhabilitée tout en conservant des parties originales, témoins du savoir-faire artisanal et artistique afghan. Le cinéma Ariana, représentait pour les Afghans une valeur symbolique et identitaire forte, il devenait aussi pour eux un symbole de la solidarité internationale. La France, qui a participé à cette restauration à travers l’association « Un cinéma pour Kaboul » présidée par Claude Lelouch, a porté le projet avec des personnalités du cinéma dont, Danièle Thompson, Danis Tanovic, Jacques Perrin, et Patrice Chéreau. En 2004 l’Ariana rouvrait ses portes. De nombreux réalisateurs afghans exilés continuent à faire des films à l’extérieur de leur pays : « « Les bons réalisateurs vivent en dehors de l’Afghanistan. C’est une tragédie, car l’Afghanistan n’a pas assez d’argent pour les aider », déplore Latif Ahmadi, directeur d’Afghan Film, la société de cinématographie nationale. C’est le cas aussi pour des écrivains comme le franco-afghan Atiq Rahimi qui a signé  Terres et cendres en 2004, un film qui se déroule dans un village meurtri par la guerre. Après ces années de conflits la priorité n’est pas à la culture pour le gouvernement afghan, qui a tant à faire pour la reconstruction du pays. Plusieurs réalisateurs afghans ne manquent pas de rappeler dans les festivals, comme celui de Busan, leur combat pour restaurer les archives de films, dont 5.000 heures ont été détruites par les talibans. La décennie 2010 connaît cependant un renouveau avec de jeunes réalisateurs à l’avenir très prometteur. Citons seulement le cas de la jeune réalisatrice afghane Shahrbanoo Sadat, qui a réussit deux exploits : à 20 ans (2010), être le plus jeune auteur jamais sélectionné par Ciné fondation – la résidence du Festival de Cannes créée en 1998 pour la recherche de nouveaux talents – où elle a pu développer le projet de son premier long-métrage de fiction Wolf and sheep ; et à 26 ans, le présenter à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2016.

ISHQ WA DOST (AMOUR ET AMITIÉ)

RESCHID LAFTI (noir et blanc, 1946)

Abdul Mahra, Noor Ahmad, Naïm Rasa, Nira B. Lahori, Karim Sarhadi

Un vieux général et le jeune poète Sawar, amis depuis longtemps, sont, sans le savoir, amoureux de la même femme. Quand arrive le jour où il le découvre, la jeune et jolie jeune fille avoue son amour pour le poète. Le vieux général, se croit tout d’abord trahi et réagit mal, puis finalement l’amitié qui le lie au poète l’emporte. Il accepte de s’effacer devant la jeunesse et que le mariage est lieu. Cependant, il leur demande une faveur : que tous deux le considèrent comme leur père.

TALAGBAR (LA DEMANDE)

KHALED A’LIL (noir et blanc, 1969)

Khan Aqasorur, Rasol Maimuna, Rafiq Sadek, Habiba Askar, Farida

Un jeune homme pauvre tombe amoureux de Parwin, une jolie jeune fille issue d’un milieu social aisé. Comment peut-il prétendre lui déclarer sa flamme et demander sa main. Il a recours à un curieux stratagème, mais va-t-il réussir à faire illusion ? Il entre dans une joaillerie, choisit un collier et une bague, et les glissent discrètement dans la poche d’une cliente. Quand elle sort de la boutique, il attend qu’elle s’éloigne un peu, l’interpelle et la menace de révéler son vol. Ne comprenant pas quel forfait elle a pu commettre, il trouve les bijoux dans sa poche et, apeurée, elle les lui donnent et se sauve. Quelques temps plus tard, le prétendant se rend chez Parwin pour demander sa main à son père. Mais la ruse et le vol sont découverts : la mère de Parwin le reconnaît, c’est la femme de la bijouterie… Le prétendant est mis à la porte manu militari.

MAJASEMA HA MEKHANDAN (LES STATUES RIENT)

TORYALAI SHAFAQ (noir et blanc, 1976)

Abdula, Fatulah Parand, Zakia Kohzad, Saira Azam, Shahda

Ahmad, Nasrin et Shahla se sont connus à l’université. Nasrin est la fille d’un homme fortuné, Ahmad est pauvre, amoureux de Nasrin et sculpte des statues pour survivre. Superficielle, Nasrin rêve de rencontrer un homme riche, avec une grosse voiture et pourquoi pas plus vieux qu’elle. Ahmad tente de la convaincre des valeurs humaines d’Ahmad, bien plus belles que celle d’un vulgaire playboy qui semble lui plaire. De plus, ce dernier tente de la séduire pour obtenir d’Ahmad qu’il sculpte des statues creuses pour y cacher du haschich ! Quand Nasrin se rend chez Ahmad, elle ne peut y entrer : une bataille éclate, la situation vire à la tragédie et on entend les statues rire…

MARD HA RA QUAL AST (LES HOMMES DE BONNES VOLONTÉ)

SAEED OROKZAI (1984)

Saïd Warakzi, Amin Rahimi, Ahmad Fazel, Walli Tallash, Akram Kharami, Adela Addim

Sher, un jeune garçon qui fabrique des cerfs-volants, est amoureux de Tahra, la fille de sa tante. La mère de Sher demande sa main au père de Tahra, qui refuse : il destine sa fille à un autre homme. Sher, profondément affecté, veut mettre fin à ses jours. Mais il réfléchit et décide d’affronter son destin. Il finit par accepter que Tahra soit promise à un autre, et il fait vœu d’assister à la noce sans faire le moindre scandale.

RABEIA E BALKHI (RABIA DE BALKH)

TORYALAI SHAFAQ, KALEK A’LIL, ABBAS SHABAN (CM noir et blanc, 1974)

Abdulla Shadan, Sima Shadan, Daud Farani, Nazeer, Mashal Huneryar, Olfat Herowi, Parwin

Ce film collectif raconte l’histoire tragique de Rabia, princesse du royaume de Balkh, qui vit auprès de son père, un roi aimé de son peuple, et de son terrible frère Harès. Tout l’oppose à ce dernier, fainéant, sans scrupule et joyeux noceur. Depuis des décennies leur royaume est en guerre contre le royaume d’Asheerodin et, lors d’une bataille, le commandant est tué. Baktazh, un esclave téméraire et valeureux, prend le commandement de l’armée Balkh et sort vainqueur du conflit. Rabia, troublée par cette victoire, tombe amoureuse du vainqueur, mais Harès s’oppose à cette union. Quand Harès tue son père pour s’approprier le pouvoir, Rabia lui tient tête par amour et pour son pays. Mais l’odieux Harès la tue.

AKTER MASKANEH (AKTER LE BOUFFON)

LATIF AHMADI (noir et blanc, 1981)

Fakir Nabbi, Asis Nasser, Ibrahimm Turian, Salam Sangi, Basira Khotra

Le pauvre bouffon Akhter, un clown alcoolique, se laisse souvent aller à boire avec un ami fortuné. Il avoue à ce dernier qu’il est amoureux de sa sœur Shala, l’ami se transforme alors en bourreau et le fait battre par toute la famille. Humilié et malheureux, Akhter revient le lendemain dans la maison où il blesse d’un coup de couteau Shala. Puis il prend la fuite et se réfugie dans son poulailler, mais la police le retrouve et le conduit en prison.

HAMASEH ISHQ (ÉPOPÉE DE L’AMOUR)

LATIF AHMADI (CM, 1986)

Asadulah Aram, Namad Arask, Kader Faruk, Subor Tofan, Sabera, Yasmina Yarmas, Zarghona Aram

Un mélodrame glaçant. Au cours d’un bouzkachi, un sport équestre national, deux équipes s’affrontent. Le chef de la deuxième équipe est jaloux des succès répétés de la première équipe. Ce dernier à une fille et le chef de la première équipe a un fils, amoureux de la jeune fille. Son père refuse de la marier à ce prétendant et pour clore le chapitre définitivement, il n’hésite pas à tuer sa fille. Pour réussir enfin à vaincre l’autre équipe, il réussit à convaincre le jeune prétendant éploré, qui ignore tout du meurtre, de rejoindre son équipe. Au cours d’un combat, il tue le fils et son père.

SÂYA (L’OMBRE)

NACIR AL QAS (1990)

Omar Cherzâd, Yasamine Yârmal, Latif Hamdard Yâr, Khorchid Khâksâr

Un drame de l’adultère. Une jeune femme attend un enfant de son amant. Sous la pression de son mari et des femmes de son voisinage, elle se sent obligée d’abandonner l’enfant (illégitime) dans Kaboul.

OSAMA

SIDDIQ BARMAK (2003)

New Currents Awards au Festival International du film de Pusan en 2003, mention spéciale du jury de la Caméra d’or au Festival de Cannes 2003, Golden Globe du meilleur film étranger en 2004)

Marina Golbahari (Osama), Arif Herati (Espandi), Mohamad Nader Khajej, Zobeydeh Sahar (Mom) dari et pachto

Siddiq Barmak, né en Afghanistan en 1962, a étudié le cinéma à l’époque où les Soviétiques occupant son pays, lui avait attribué une bourse pour aller étudier à l’école de cinéma de Moscou où il a obtenu son diplôme. Il produit plusieurs courts-métrages et des documentaires mais, sous le régime des talibans, il lui est impossible de travailler comme il le confie : « je ne pouvais pas m’exprimer, je ne pouvais pas respirer ». À cette époque il décide de fuir son pays où il ne reviendra qu’après cette funeste période. Avec le nouveau gouvernement Siddiq Barmak dirige à nouveau l’Organisme du film afghan de Kaboul.

Si ce film ne relate pas une histoire d’amour, il est lié à des évènements qui en découlent : le mariage, être mère, mais surtout avoir un fils, et le veuvage. Le film traite de la condition de la femme, un sujet tabou, mais réel dans la société afghane sous le régime des talibans. Durant cette période il est interdit aux femmes de sortir seule, sans être accompagnée d’un homme ou d’un garçon : le chaperon étant à priori, le mari ou le fils. Les femmes n’ayant pas de mari, étant veuve, et surtout n’ayant pas de fils, comment font-elles ? Pas de solution. La seule envisageable est d’avoir le courage de manifester pour obtenir une place dans la société, pouvoir aller à l’école et travailler. Mais toutes réclamations et manifestations sont sévèrement réprimées. Le film évoque l’histoire d’une petite fille que la mère déguise en garçon pour qu’elle puisse sortir et aller trouver du travail. Dans ce contexte de peur, la fillette est terrifiée à l’idée que les talibans puissent découvrir sa véritable identité.

Quand le cinéaste a rencontré Marina Golbahari (Osama) dans les rues de Kaboul elle avait 10 ans et, à propos de cette rencontre, il confie lors d’une interview en 2010 à Univers Ciné : « Elle mendiait dans la rue (…). Son père est resté gravement estropié après avoir été battu par les talibans. J’ai été immédiatement fasciné par son regard. Quand je lui ai demandé si elle voulait jouer dans un film, elle n’a pas su de quoi je parlais. Les termes « film » et « télévision » lui étaient totalement étrangers. » Aujourd’hui elle a 25 ans, a participé au tournage de seize films, en Afghanistan mais aussi au Tadjikistan et en Iran, et elle rêve de tourner dans des films français, pays où elle a obtenu le statut de réfugiée, mais elle et son mari vivent difficilement cet exil forcé.

WAJMA (WAJMA, LA FIANCÉE AFGHANE)

BARMAK AKRAM (2013)

Nombreuses récompenses dont le Prix du meilleur scénario international au Festival de Sundance

Wajma Bahar (Wajma à 20 ans), Mustafa, le jeune serveur à 25 ans)

Un film sur l’amour et la liberté. Un désir de vivre une passion naissante tout simplement, mais à quel prix ? Une plongée au cœur de Kaboul, qui apparaît plus moderne qu’on ne s’y attendrait, où Wajma, une jolie étudiante en droit qui vit chez ses parents, tombe amoureuse de Mustafa, un jeune homme d’origine iranienne, serveur dans un bar branché et qui s’habille à l’occidentale. Wajda et Mustafa s’aiment et connaissent parfaitement les codes qu’ils ne doivent pas enfreindre, mais ils naviguent avec ruse – ils se ménagent des moments d’intimité mais ne se touchent pas dans la rue, s’arrangent pour que personne n’aperçoive Wajda entrer dans l’appartement de Mustafa – entre tradition et modernité. Ils font tout pour arriver à vivre pleinement leur amour et ils semblent résignés à attendre le mariage pour aller jusqu’au bout de leur relation. Mais un certain soir, Mustafa est pris d’un désir violent… Le père de Wajma, démineur, est souvent absent et sa fonction rappellent les drames de la guerre vécu par le pays. Soudain tout bascule : Wajma se retrouve enceinte, le père l’apprend et revient chez lui. Mustafa se conduit en lâche, le père entre dans une terrible colère, la cellule familiale explose. On comprend alors que le cinéaste n’a pas seulement voulu faire un film sur une histoire d’amour qui tourne mal, mais qu’elle lui permet d’aborder et de dénoncer la rigueur de la condition féminine et de montrer les traitements discriminatoires dont sont victimes les femmes en Afghanistan, qui aimeraient avoir un droit, celui d’aimer.

 

LITTÉRATURE

Spôjmaï Zariab, nouvelliste, femme libre de l’ère du prince Mohammad Daoud Khan et aujourd’hui exilée en France, éprouve de la nostalgie quand elle pense à cet Afghanistan éclairé, libre et cultivé, où les femmes étudiaient, travaillaient et sortaient dans la rue, tout simplement visage et chevelure dévoilés. Comment se reconstruire dans un pays où le livre a été interdit ? Quand la « bibliothèque Nasser Khosrow, » vieille de dix siècles a été détruite par les talibans, le 12 août 1998, 55000 volumes ont été brûlé. Latif Pedram, poète, éditorialiste, éditeur, professeur de lettres, en était alors le directeur. Réfugié politique en France depuis 2001, il confiait dans une interview à Yves Stavridès (l’Express le 1/1/2002) : « Notre fierté dans le monde, c’est le livre. Nous avons survécu grâce au livre et à la poésie persane. C’est la mémoire de l’Afghanistan. » Mais il n’y a pas eu que cet autodafé poursuit-il : « A Hérat, ils ont saccagé le centre culturel et la bibliothèque personnelle de l’ancien ministre de la Culture, qui comportait plusieurs milliers de volumes très anciens. A Kaboul, ils ont ravagé la bibliothèque de l’université. Et Latif Pedram ajoute qu’il s’est passé : « une chose aussi grave que la destruction des livres: on a vu apparaître une poésie de guerre ethnique. Des poètes ouzbeks ont commencé à chanter les louanges des Ouzbeks et à insulter les Pachtouns. Les Pachtouns se sont mis à écrire des poèmes méprisants sur les Tadjiks. Les Tadjiks ont réagi contre les Pachtouns :

Oh, toi, l’homme tribal

Le voleur qui vient de Samarkand

Cette terre ne t’appartient pas !

Ce sont des comportements navrants, pitoyables, humiliants – même si cette confrontation ouverte est née des répressions. »

 

ROMAN

Si la littérature afghane d’aujourd’hui est une littérature d’exil où souffle un vent de nostalgie et de désespoir, elle fait aussi apparaître le rêve de beaucoup d’écrivains qui veulent croire en un possible retour, un jour, vers cette terre profondément aimée. À travers leurs romans on retrouve des points communs, le besoin de témoigner, de dénoncer la condition féminine et l’intolérance : « L’exil ne s’écrit pas. Il se vit. », confie Atiq Rahimi. Les écrivains qui ont fuient leur pays sont très nombreux. Parmi eux plusieurs femmes apportent leur témoignage à travers l’écrit. Certaines sont restées en Afghanistan – où elles ont eu l’occasion de raconter leur histoire à un journaliste ou à une ONG, qui les ont aidé à témoigner – d’autres sont des réfugiées afghanes. Plusieurs témoignages particulièrement bouleversants ont fait l’objet d’une publication en France, c’est le cas de Latifa (visage volé, avoir vingt ans à Kaboul), Diana Mohamadi (Petite marchande d’allumettes à Kaboul) et Freidoune Sahebjam (Morte parmi les vivants).

KHALED HOSSEINI

Khaled Hosseini, né en 1965 à Kaboul, fils d’un diplomate et d’une mère professeur de farsi, est le cadet de cinq enfants. Il part vivre en Iran à l’âge de cinq ans puis à Paris, selon les affectations de son père fixées par le ministère afghan des Affaires étrangères. Sous l’occupation soviétique de son pays, sa famille demande l’exil aux Etats-Unis et s’installe en Californie en 1980. Après des études de biologie et de médecine, Khaled Hosseini exerce en tant que médecin et au bout de dix ans, il se tourne vers l’écriture. Sa Fondation, qui vient en aide à l’Afghanistan et aux réfugiés afghans, a été créée en 2007 après avoir participé à une mission humanitaire avec l’UNHCR, une organisation dont il fait l’éloge dans l’épilogue de son roman Mille soleils splendides.

Mille soleils splendides

(éd. Belfond, 2007) trad. Valérie Bourgeois

Après l’immense succès de son premier roman Les cerfs-volants de Kaboul (2003) Khaled Hosseini nous raconte l’histoire de deux femmes mariées au même homme, rivales puis complices. Mariam, la première épouse, une harami – une bâtarde, toujours rejetée et mal aimée : « quelqu’un de non désiré, qui n’aurait jamais droit comme les autres à une famille, une maison, à l’amour et à l’approbation des gens. » – à été contrainte d’épouser Rachid, de trente ans son aîné. Depuis près de vingt ans elle n’arrive pas à avoir un fils et aujourd’hui, après tant d’années de soumission à cet homme brutal, elle doit supporter une nouvelle épreuve sous son propre toit, l’arrivée de Leïla. Cette dernière est amoureuse de Tarik, un garçon parti à l’étranger avec ses parents en raison de la montée de la violence : il pleut des bombes sur Kaboul. Dans l’impossibilité de partir avec lui et, seule quand elle se retrouve orpheline, Rachid la recueille et décide de l’épouser. La présence de cette seconde épouse, attise la jalousie voire la haine de Mariam. Enceinte, Leïla met au monde une petite fille puis un garçon. Peu à peu les deux épouses comprennent qu’elles sont le triste jouet de leur mari, qui leur apparaît comme un véritable tyran. À deux n’est-on pas plus fort ? Désormais complices, Mariam et Leïla vont tenter de s’enfuir, de quitter l’Afghanistan. Mais où aller ? Arriveront-elles à fuir leur pays, meurtri par tant d’années de guerre, leur capitale Kaboul qui dissimulait autrefois derrière ses murs « mille soleils splendides » mais qui n’est plus qu’un tas de gravas, de décombres, où la vie devient plus hasardeuse, plus dangereuse chaque jour ? Un livre fort qui met en avant les relations des hommes et des femmes, où la condition de la femme est dépeinte avec précision et retenue.

ATIQ RAHIMI

Né à Kaboul en 1962 Atiq Rahimi, dont le père est germanophone et la mère anglophone, étudie au lycée franco-afghan Itsiqal de Kaboul fréquenté par la famille royale et l’élite du pays, puis à l’université en section littérature. L’occupation soviétique va bouleverser sa vie. Quand son père, juge, est arrêté et torturé, il décide de quitte l’Afghanistan, en plein hiver : « Neuf jours et neuf nuits de marche et de cauchemar à plus de trois mille mètres, témoigne-t-il. Nous avons été arrêtés, interrogés, volés. » Et quand il atterrit à Paris le 31 mars 1985, il confie : « Je découvrais cette ville rêvée, dans une aube sans nuages, sous un ciel pourpre, telle que je l’avais imaginée.» (La Croix, 26/8/2015). Il parle un français basique et demande si il peut vivre à l’écart des grandes villes, dans un lieu calme proche de Paris. Il s’installe en Normandie, à Gaillon dans l’Eure, travaille dans la publicité, réalise des documentaires pour Arte et la chaîne Histoire. En 1996, l’arrivée au pouvoir des talibans décide son père à s’installer en Allemagne, sa mère aux Etats-Unis. Atiq Rahimi est naturalisé français, écrit en français – bien qu’il continue à rédiger son journal en persan – sa langue d’adoption. Son premier livre Terres et cendres, montre le cheminement d’un grand-père et de son petit-fils à travers un pays en guerre. Son écriture puise son inspiration dans sa vie, ses deuils. En 2008, avec la publication de Singoué sabour, pierre de patience, il décroche le prix Goncourt, une reconnaissance inestimable pour celui qui écrit dans ses carnets intimes : « l’exil c’est avoir un pied sur terre, l’autre suspendu en l’air ». Atiq Rahimi est aussi cinéaste, il a adapté et réalisé Singoué sabour, pierre de patience. La Ballade du Calame est son troisième livre écrit en langue française.

 

Singoué sabour, pierre de patience

(éd. P.O.L, 2008) Prix Goncourt 2008

Que signifie singoué sabour, ce joli mot plein de mystère ? Dans la mythologie perse c’est une pierre noire magique dite « pierre de patience » à l’écoute de tous ceux qui lui confie leur détresse. Une confidente, à l’écoute de tout ce que l’on ose pas confier aux autres et, dit-on, quand elle aura reçu trop de complaintes, trop de malheurs, elle explosera et l’Apocalypse suivra. Mais ici dans le roman, la pierre de patience se trouve être un homme blessé par balle, encore vivant mais déjà parti dans un lointain voyage. Sa femme est auprès de lui, mais elle vit ces instants de manière troublante. Elle lui en veut d’avoir toujours répondu présent à l’appel des armes, de l’avoir sacrifiée à la guerre. Son mari, muré dans un silence dû à son état, va devenir le « singoué sabour ». Sa femme lui parle ou, plutôt, se confie de plus en plus, sans jamais savoir si il l’entend. Elle prend la liberté de se laisser aller à une confession intime, sans retenue, de lui dévoiler ces années d’oppressions qui ont marqué sa vie conjugale, sociale et religieuse. Peu à peu son « dedans » s’ouvre, elle parle d’elle, de son corps, de ses désirs, de ses secrets, de ses rêves, des révélations impensables à dire chez une femme. Atiq Rahimi a choisit d’écrire ce roman en français car dit-il lors d’une interview pour le Revue de Téhéran : « Ma langue adoptive reflète la liberté que je recherchais en écriture pour ce thème. Ma langue maternelle impose ses limites, une certaine pudeur. Il y a beaucoup de tabous (…) C’est pour dire la douleur d’une femme de mon pays que j’ai renoncé au persan. » Ce livre l’auteur l’a dédié à une poétesse afghane, Nadia Anjuman : « sauvagement assassiné par son mari ».

NOUVELLE

Dans les années 1910 l’Occident, d’un point de vue littéraire, introduit en Afghanistan des idées nouvelles et des formes littéraires méconnues ou inusitées jusqu’alors : le roman et la nouvelle. Au fil du temps les nouvelles sont devenues un genre important dans la littérature afghane d’aujourd’hui. Leurs auteurs, le plus souvent témoins d’un passé déchirant, racontent leur pays, l’Afghanistan. Un pays meurtri par la barbarie des hommes et de la guerre, où l’on aimerait bien croire que la paix reviendra et qu’elle sera annonciatrice d’amour.

SPÔJMAÏ ZARIAB

Née à Kaboul en 1949, Spôjmaï Zariab, étudie au lycée franco-afghan Malalaï de Kaboul. Diplomée de littérature française, elle a été traductrice à l’ambassade de France de Kaboul. Exilée, elle vit en France depuis 1991. « Si l’on exclut les Contes populaires d’Abderrahman Pajwak, parus chez Stock, Spôjmaï Zariâb est le premier écrivain afghan contemporain à être traduit en français » (Le Monde diplomatique 1983). Sa plume vivante et rebelle s’intéresse aux individus confrontés à un monde hostile contre lequel ils se battent en vain. Leur monde semble clos de murs. Spôjmaï Zariab fait partie de ces jeunes écrivains, héritiers de l’iranien Sâdeq Hedayât. Ses nouvelles écrites en langue persane sous le régime communiste ont commencé à être publiées en France dans les années 1980 ;

La Plaine de Caïn

(éd. De l’aube, 2001) Trad. Didier Leroy

Dans ce premier recueil Spôjmaï Zariab témoigne de la barbarie du régime : « Les femmes sont murées derrière le voile : « Toutes les femmes ne voient-elles pas le monde à travers une fenêtre ? Pendant que je la regarde, je m’imagine que les mailles grossissent et deviennent les barreaux d’une cellule. » La folie semble s’emparer de tous, du libraire, du collègue, des danseuses aux clochettes, des enfants… Le recueil présente treize nouvelles. La vision d’été relate la douleur d’une mère qui a perdu son fils au combat et à qui on a dit pour toutes paroles, quand on lui ramene le corps chez elle : « Tiens, c’est ton fils », comme un paquet que l’on dépose : « Elle serrait le corps dans ses bras, le caressait et criait : ô mon martyr ! » (…) C’était un vendredi d’été ; dans un ciel d’un bleu éclatant, le soleil était à son zénith. Puis la mère ajouta : «  Ah mon fils, d’une voix entre-coupée de hoquets, ils étaient cinquante-sept…et tous les cinquante-sept sont… Elle n’a pas pu terminer sa phrase. Les épaules agitées de tremblements, elle a caché ses yeux dans son foulard blanc. »

Ces murs qui nous écoutent

(éd. L’inventaire, 2000) Trad. Didier Leroy

Un recueil bilingue illustré par l’auteur où l’on suit le destin tragique de femmes qui, par amour pour les leurs, n’hésitent pas à prendre des risques. L’une cache, dans un réduit obscur, depuis un an et demi son enfant pour lui éviter l’enrôlement militaire. Une autre se demande si elle doit raconter à sa fille l’histoire de l’ange, toujours installé sur l’épaule gauche pour noter si jamais on a oublié d’être sage.

KHALID NAWSA

Né à Kaboul en 1971, Khalid Nawsa, journaliste, s’exile en 1995 au Pakistan et rentre à Kaboul en 2001, après la chute des talibans. Il continue son activité dans le journalisme, crée une émission littéraire « 7 villes d’amour » – la plupart d’entre elles ont été détruites pendant la guerre – qui rencontre une écoute importante. Depuis 1987, il écrit des nouvelles.

Bonjour douleur

(éd. De l’aube, 2003) Trad. Amir Moghani

Un recueil de onze nouvelles, parmi lesquelles je choisis d’en citer quatre qui m’ont plus particulièrement touchées : Bonjour douleur, Le vieil homme qui pleure son âne, Catamonde et Craquelure. Chacune d’elle parle d’une blessure affective. La première est celle d’un père qui essaye en vain de faire parvenir un petit paquet à son fils parti au front. La seconde évoque le déchirement d’un vieil homme obligé d’abandonner son âne pour monter dans un pick-up, plus rapide pour conduire sa belle fille dont l’accouchement est imminent. La troisième relate l’histoire d’un couple qui vit des heures d’angoisse, leur enfant va probablement mourir pour avoir mangé, en ces temps de pénurie, de l’halva avarié. La quatrième narre l’enfer vécu par un homme arrêté, à qui l’on a confisqué ses papiers et la lettre de sa femme Zhora : «  Cette lettre te parviendra par un de mes amies qui prend l’avion. J’ai appris que la route était fermée et que votre caravane de camions-citernes transportant du gazole était restée bloquée à Mazar car ils ont fait sauté tous les ponts… Je t’aime à mourir… Je pense tout le temps à tes paroles, elles me bercent quand je dors. Les désirs périssent à mi-chemin des distances… »

MOHAMMAD HOSSEIN MOHAMMADI

Né à Kaboul en 1975, Mohammad Hossein Mohammadi a grandi en Iran, puis est revenu habiter en Afghanistan en 2010. Il a crée les éditions Tak et dirige le département de journalisme de l’Université populaire d’Avicenne. Il est l’auteur de deux romans et d’un recueil de nouvelles où il parle de ce conflit sans fin : « qui s’immisce jusque dans l’intimité des relations humaines »

Andjirhâyé sorkhé Mazâr (Les figues rouges de Mazâr)

(éd. Actes Sud, 2012) Trad. Azita Hempartian

Un recueil de quatorze nouvelles. Hantcheni, qui signifie « or », est employé pour désigner une femme couverte de bijoux en or. Cependant en Afghanistan on utilise ce mot comme une injure, pour désigner les danseuses et les prostituées. Hantcheni est le titre de l’une des nouvelles, elle raconte pourquoi des femmes, en tant de guerre où tous souffrent de faim, ont recours à la prostitution pour nourrir leur famille. Mais ces femmes dévouées sont aussi la proie des soldats – que les hantchenis appellent des taureaux – qui les méprisent et les paient à peine pour assouvir leurs désirs.

POÉSIE

Prête l’oreille au poète, écrivait Firdusi.

La poésie afghane est riche aussi ai-je choisi, pour l’instant, de n’évoquer que trois poètes célèbres entre tous, à huit cents ans de distance. Rûmî, immense poète du XIIIè siècle, Ustad Khalillullah Khalili, auteur d’une cinquantaine d’oeuvres, de la poésie à la fiction sans oublier l’histoire, et Nadia Anjuman, qui a traversé notre siècle à la vitesse d’une étoile filante. En ce qui concerne le poète Rûmî, sa vie est digne d’un roman. Ce n’est pas l’un de ses admirateurs Leonardo Di Caprio qui me contredira, lui qui a été pressenti, bien que ce ne soit plus d’actualité, pour incarner Rûmî au cinéma ! Eh oui ! Et ce n’est pas tout, le grand maître déclenche encore des polémiques aujourd’hui, huit cents ans après sa mort !

En effet, l’Afghanistan défend ses droits sur l’héritage du poète qui, né en Perse, dans l’actuel Afghanistan, a étudié en Syrie, enseigné et vécu en Turquie, principalement à Konya, où il est enterré. L’Iran et la Turquie ont tous deux déposé une requête auprès de l’Unesco pour faire inscrire en leur nom l’œuvre du poète au « Registre de la Mémoire du Monde », crée en 1997 pour protéger le patrimoine écrit des zones de conflit. Le gouvernement afghan dénonce une tentative de s’approprier l’héritage culturel de l’Afghanistan et, n’ayant pas pris conscience de l’importance de faire cette même démarche auprès de l’Unesco, le pays espère que les Afghans, qui apprennent les vers de Rûmî dès l’école primaire, arriveront à faire valoir leur droit. En 2007, les trois pays s’étaient pourtant entendus avec l’Unesco pour célébrer le 800ème anniversaire de la naissance de Rûmî. Ils avaient même fait graver une médaille en mémoire du maître qui voulait s’adresser à l’humanité tout entière, rappelait alors l’Unesco, citant ce « distique » du poète : « Je ne fais pas de distinction entre le proche et l’étranger ».

 

RÛMI JALÂLODDÎN dit RÛMÎ ou MOWLÂNÂ (1207-1273)

Rûmî, poète persan du XIIIè siècle, est né à Balk

Je suis de cette ville qui est une ville infinie,

Et le chemin qui y mène est un chemin sans fin

Dans le Khorasan, la plus importante région de la culture perse (aujourd’hui en Afghanistan) et son œuvre fascine toujours les amoureux de la poésie d’aujourd’hui. Quand Rûmî s’installe en Turquie il est vénéré, c’est un professeur, un savant sans rival, très célèbre en son temps. On afflue de toutes parts pour venir l’écouter. Sa vie est bouleversée quand sur son chemin il croise un jour Shams de Tabriz, un derviche errant venu d’Iran et plus âgé que lui, auteur d’un livre de Maqâmât, un genre littéraire arabe classique composé de récits courts et indépendants, en prose rimée avec des insertions de poésie. De cette rencontre naît un amour infini, Shams devient son maître spirituel : « Ils s’enfermèrent pendant quarante jours et quarante nuits. » (Jean-Claude Carrière). Il n’a pas hésité à affronter le scandale : scandale d’une famille abandonnée, scandale d’un amour exclusif qui s’achèvera avec le départ de l’homme aimé et donnera naissance à quelques-unes des plus belles pages de la poésie universelle :

Tous les cœurs sur lesquels soufflent ma brise

s’épanouissent comme un jardin plein de lumière

Quand arrive le moment de la séparation Rûmî est un autre homme. Lui, le maître académique, le prédicateur austère, le mollah, devient un poète étincelant, exalté. Il chante l’amour, la rupture, la séparation, la cruauté : «  Sa poésie est portée par l’ivresse de tous les sens. Elle est incandescente, brûlante ». Après sa rencontre avec Shams, il danse, rit, improvise des poèmes : «  Il venait de s’illuminer, de s’allumer. Un poète jaillissait en lui. » Dès lors sa vie n’est que poésie, il se détache de la chair et de l’enseignement et, avec un talent inégalé, il invite le lecteur à écouter le chant de sa métamorphose. Dans le Livre de Shams de Tabriz et le Masnavi, deux joyaux de la poésie universelle, sont rassemblés environ cinquante mille vers où Rûmî ne cesse de répéter que l’amour est une grâce et comme nous le dit Jean-Claude Carrière, grand admiratif du poète : « l’amour est un feu, une ivresse, un tournoiement sans fin, un souffle venu de là-haut. Il est la voie de tous les égarés et le médecin de toutes les fièvres. Et cet amour est sans limite, car il n’exclut rien ni personne. Les amoureux, ici ne sont pas seuls au monde. »

Soleil du Réel  Poèmes d’amour mystique

(Imprimerie Nationale Editions, 1999) – Trad. Christian Jambet

L’amour est un océan infini,

Dont les cieux ne sont qu’un flocon d’écume

Sache que ce sont les vagues de l’amour,

Qui font tourner la roue des cieux

Sans amour le monde serait inanimé.

Chaque atome est épris de cette perfection

Et se hâte vers elle.

A chaque instant retentit de tous côtés l’appel de l’amour.

Si ce n’avait été par pur amour

Comment aurais-je donné aux cieux l’existence ?

J’ai élevé cette sublime sphère céleste

Afin que tu puisses comprendre la sublimité de l’amour.

Amour, ta blessure dans mes veines

(éd. J.C Lattès, 2004) Trad. Mahin Tajadod, Nahal Tajadod, Jean-Claude Carrière.

                                                     A tous ceux qui aiment et qui ne savent pas comment le dire.

Ce recueil dédié « A tous ceux qui aiment et qui ne savent pas comment le dire. » est préfacé par Jean-Claude Carrière qui nous dit avec un ton lumineux :

« Tout nous vient de l’amour, force, joie et savoir. L’amour brûle et dévore, l’amour assassine et donne la vie.

L’amour obscurcit et révèle. »

Entre dans le cercle

Viens et entre dans notre cercle

Nous qui sommes amoureux,

Pour que nous puissions t’attirer

Dedans le jardin de l’amour.(…)

 

Ô toi le cœur égaré, viens !

Ô toi le foie déchiré, viens !

Si le chemin de porte est fermé

Prends le chemin du mur et viens !

 

Tu es la goutte et l’océan

Tu es la goutte et l’océan,

Tu es la bonté et la colère,

Tu es le sucre, le poison,

Ne me rends pas plus malheureux.

 

Tu es la chambre du Soleil,

Tu es la maison de Vénus,

Tu es le jardin de l’espoir,

Ô ami, laisse-moi entrer. (…)

 

Mon cœur porte ta marque,

Il n’erre pas ailleurs.

Sans les autres, tout va.

Sans toi, rien ne va plus.

 

Toi mon vin, toi mon ivresse,

Mon jardin, mon printemps

Mon sommeil, mon repos,

Sans toi, rien ne va plus. (…)

L’amour demande : sois vivant

L’amour demande : sois vivant

Car de mort rien ne peut sortir.

Sais-tu qui est vivant ?

Celui qui naît d’amour.

 

Cherche-nous dans l’amour

Cherche l’amour en nous.

Tantôt je le vénère,

Tantôt il me vénère. (…)

 

Tous les détails du monde

Sont des amants. Et chaque

Détail de l’univers

D’un visage est grisé. (…)

 

Si le ciel n’était pas

Lui aussi amoureux,

Sur son cœur ne serait

Aucune pureté. (…)

 

Si le soleil aussi

N’était pas amoureux,

Lumière ne serait

Posée sur sa beauté.

 

Et si terre et montagne

N’étaient pas amoureuses,

Au cœur de l’une et l’autre

Plante ne pousserait.

 

Et si la mer était

Sans connaître l’amour,

Elle aurait, à la fin,

Un lieu pour reposer.

Je te disperserai

(…) Car sans toi, je jure, la ville

M’est devenue comme prison.

L’égarement, et la montagne,

Et le désert est mon désir.

 

Patience fuit mon cœur, Raison fuit mon esprit

Patience fuit mon cœur,

Raison fuit mon esprit.

Jusqu’où m’emportera l’ivresse

Sans garanti de ton amour ? (…)

 

Ivre de ton union, je n’ai

Pas la tête aux autres vivants.

Je suis ta proie, ton gibier :

De l’arc, de la flèche, que faire ? (…)

 

Désir de ton visage

Fait de pierre se fend.

Dans la joie de t’avoir

La vie bat ailes et plumes.

 

Le feu devient de l’eau,

La raison est détruite

Et ma vision de toi :

Ennemie du sommeil. (…)

 

Oui, ta blessure, dans mes veines

Est la vie, et donne la vie,

Et ton épée sur mon artère,

Roi du monde, c’est du gâchis.

 

Le livre de Chams de Tabriz. Cent poèmes

(éd. Gallimard, 1993) Trad. Jean-Claude Carrière, Mahin Tajadod Nahal Tajadod

« Un chant d’amour absolu (…) Ce livre nous permet, assurent les traducteurs, de suivre pas à pas le chemin mystique de Mowlânâ, le plus beau peut-être qui fut jamais tracé : égarement du cœur, perte de l’être, union intime à l’univers, délire obscur, angoisse, lumière enfin, et sagesse, et silence… »

 

USTAD KHALILLULLAH KHALILI (1901-1987)

Ustad Khalili, né à Kaboul, est issue d’une famille noble et influente. Il perd sa mère, plus tard son père – ministre des finances sous le roi Amir Habibullah Khan, assassiné en 1919 lors d’une partie de chasse -, exécuté après la mort du roi. Ustad Khalili, qui vivait dans le Nord, revient dans les années 1950 vivre à Kaboul. Élu ministre de l’Information et de la Culture, il enseigne à l’Université puis, parlant l’arabe, le roi Zaher Shah, le nomme ambassadeur en Arabie Saoudite et en Irak dans les années 1960. Il démissionne après le coup d’État communiste (1978), s’exile en Allemagne puis aux États-Unis. À la fin des années 1980 il revient vivre en Asie, s’installe au Pakistan à Islamabad où il meurt en 1987. Il est enterré à Peshawar près du tombeau du grand poète pashtoun Rhaman baba.   Parmi ses oeuvres les plus connus citons Le Héros de Kôhistan, Le Maître habillé en vert, Les Mariées en habit rose, Mère afghane, Supplique au Prophète. Le vingtième anniversaire de sa mort a été célébré en tant que fête nationale en Afghanistan. Considéré dans le monde persanophone comme le grand poète afghan du XXe siècle, son œuvre largement diffusée au Moyen-Orient, reste à ce jour pratiquement inaccessible au public occidental, à part de courts extraits publiés en anglais et le recueil de ses quatrains en français.

Quatrains et autres poèmes

(éd. L’inventaire, 2012) Trad. Jean-Paul Kowaliski

Il s’agit d’un recueil bilingue et à cette question : « Comment être poète au milieu du chaos ? Question que se posait l’anthropologue américain Whitney Azoy, l’oeuvre de Khalili – que le monde arabo-musulman du XXe siècle a appelé  » le poète des poètes de l’Orient  » -, répond à cette question. Elle illustre le proverbe afghan selon lequel une pression considérable peut, à l’occasion : « transformer des morceaux de charbon en diamants. »

NADIA ANJUMAN (1980-2005)

Cette phrase « Prête l’oreille au poète », du grand poète persan Firdusi, la poétesse Nadia Anjuman (1980-2005) aurait aimé que son mari l’entende. Sa poésie, écrite si jeune, laissait déjà transparaître le désespoir qui l’habitait :

Je suis née en vain c’est vrai

et ma bouche doit rester scellée.

Elle meurt à 25 ans, battue par son époux (il ne supportait pas qu’elle soit poète), selon la police d’Hérat. Plus tard, l’affaire est classée « suicide » et son époux, libre, élève leur fille. Peu avant sa disparition Ahmed Said Haqiqi, président du Cercle littéraire d’Hérat, disait qu’elle était : « en train de devenir un grand poète persan ». Reconnue très jeune pour sa poésie, Nadia Anjuman parlait de la malédiction d’être une femme en Afghanistan. L’un de ses poèmes Illumination commence et se termine par ces vers :

Voici la nuit : la poésie illumine mes instants

Voici l’exaltation qui peigne mes cordes vocales

Quel est ce feu, merveille étrange, qui m’abreuve ? (…)

De mes paroles dans un cahier, de mes mots tumultueux

Voici que gronde une tourmente, fruit de mon silence obstiné

Aube, chère aube, ne déchire pas la soie imaginaire

Voici que je suis plus heureuse la nuit, quand poésie illumine mes instants.

(extrait, trad. Leili Anvar)

Gul-e-dodi (Fleurs rouge sombre)

Trad. Leili Anvar

Dans ce recueil de poèmes choisis par Leili Anvar, iranienne vivant à Paris, journaliste, traductrice, chercheuse et maître de conférences en langue et littérature persane, vous pourrez découvrir la voix lumineuse et sensible de cette jeune poétesse.

 

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