ЛЮБОВЬ

Kirghizistan

Russie

* "amour" en Russe

" Je t'aime "
Quelques précisions sur cette langue

Le russe (en russe Русский) est une langue appartenant au groupe slave oriental de la famille des langues indo-européennes, auquel appartiennent aussi l’ukrainien et le biélorusse. Il compte plus de 280 millions de locuteurs (comme langue maternelle ou langue seconde). Il est la langue officielle de la Fédération de Russie et l’une des langues officielles des républiques de Biélorussie, du Kazakhstan et du Kirghizistan, langue de communication au sein de la Communauté des États indépendants (CEI), dominante dans certaines régions d’Ukraine (notamment le Sud et l’Est ukrainien ainsi que la capitale Kiev). Il est également une des langues officielles de l’ONU. Il est régi par l’Académie des sciences de Russie.

Quelques références littéraires et cinématographiques

 

RUSSIE

CINEMA 

Quand en 1908 Tolstoï dit à propos du cinéma : « vous verrez que cette petite machine qui tourne en faisant clic clac révolutionnera notre vie », la première représentation cinématographique publique en Russie a déjà plus de dix ans ! Elle remonte au 4 mai 1896 à Saint-Pétersbourg au théâtre d’été « L’Aquarium ». À l’issue de cette projection, réalisée par des envoyés des Frères Lumière, s’ouvre la première salle de cinéma russe à Saint-Pétersbourg, (la première représentation cinématographique publique française s’était déroulée à peine cinq mois plus tôt, le 28 décembre 1895, au Grand Café de Paris.) Dix jours plus tard (14 mai 1896), a lieu le couronnement du tsar Nicolas II à Moscou au Kremlin et, à cette occasion deux envoyés des Frères Lumière réalisent le premier grand reportage cinématographique russe. De nombreuses salles voient le jour et attire un public qui aime se distraire : avoir peur avec les premiers films où l’on voit une locomotive foncer sur les spectateurs, où rire devant les farces grivoises. Mais le Saint-Synode réagit et une décennie plus tard, dans les années 1910, c’est la classe intellectuelle qui se montre réservée, voire franchement hostile au cinéma.

A partir de 1912, les producteurs se tournent vers les hommes de lettres et les sollicitent pour la création de scénarios originaux ou pour l’adaptation à l’écran des classiques de la littérature russe. De cette époque datent les premiers films de Yakov Protazanov, qui sera l’un des plus célèbres réalisateurs avant la Révolution (Les Clés du bonheur, 1913). La guerre de 1914-1918 et la révolution de 1917 gèlent l’importation des films étrangers et cette situation va contribuer à l’essor du cinéma russe. Avant 1917 le cinéma était une industrie développée. Le poète futuriste Vladimir Maïakovski écrit et interprète plusieurs films en 1918, mais quand l’année suivante Lénine signe un décret nationalisant la production et la distribution cinématographique, cette mesure incite un grand nombre de réalisateurs, de producteurs et d’acteurs à s’exiler : parmi eux Ladislas Starewitch, Yakov Protazanov, Joseph Ermoliev, Ivan Mosjoukine, Alexandre Volkoff, Nathalie Lissenko, Alexandre Khanjonkov.

Cette même année la première école de cinéma au monde le VGIK voit le jour et son directeur, Lev Koulechov, élaborera ses théories de montage dans son laboratoire expérimental. Le cinéma soviétique va bénéficier des nombreuses expériences du milieu d’avant-garde (futurisme et constructivisme pour les Beaux-arts, formalisme en littérature) apparues durant les dernières années du tsarisme. Le lien étroit à cette époque entre la politique et l’esthétique permet à l’industrie cinématographique, le plus jeune des arts, de se développer et d’explorer des avant-gardes artistiques, qui contribueront à la variété des films alors réalisés. Près de 800 films, nous précise Natacha Laurent (déléguée générale de la Cinémathèque de Toulouse), ont été produit en URSS entre 1918 et 1929 dont 500 pour la période considérée comme son âge d’or (1925-1929). Des réalisateurs comme Sergueï Eisenstein, dont le Cuirassé Potemkine (1925) lui assure une notoriété internationale, Vsevolod Poudovkine et Alexandre Dovjenko signent leurs premiers films.

Le cinéma d’URSS, exclu des réseaux commerciaux, restera méconnu des cinéphiles français jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale. Et ce n’est que quelques décennies plus tard, grâce à la remarquable rétrospective organisée par le Centre Georges-Pompidou de 1979 à 1981, que l’on découvre véritablement les trésors du cinéma russe et soviétique. Il faut citer ici l’importance du rôle joué, dans le cadre de cette rétrospective, par la Cinémathèque de Toulouse qui a prêté de nombreuses copies issues de ses archives. Pourquoi la ville de Toulouse possède-t-elle dans ses archives emblématiques, l’un des fonds de films russes et soviétiques les plus importants d’Europe ?  C’est l’histoire d’une longue amitié nous explique Natacha Laurent : « En 1965, Raymond Borde, critique de cinéma et cofondateur de la Cinémathèque de Toulouse, décide d’adhérer à la Fédération Internationale des Archives du Film (Fiaf), dont le rôle est de favoriser la coopération entre les plus importantes institutions chargées de la conservation du patrimoine cinématographique. Le Gosfilmofond (le fonds d’archive de cinéma d’URSS), cherche un partenaire en Europe occidentale pour y assurer la diffusion du cinéma soviétique.  Son directeur, Victor Privato, fait la connaissance, dans le cadre de la Fiaf, de Raymond Borde. Ainsi se constitue, à Toulouse, cette collection exceptionnelle de cinéma russe et soviétique, que la Cinémathèque s’est toujours attachée à valoriser en France comme en Europe. »

Après la mort de Staline en 1953, la période (1953-1968) dite de « dégel », est contemporaine de la Nouvelle vague en France et ailleurs. Si la production redémarre, que l’individu est remis au centre des préoccupations, les cinéastes se heurtent aux difficultés administratives et à la censure (coupures, sorties différées, interdictions de festivals etc.), néanmoins de nouveaux talents surgissent et des cinéastes s’interrogent sur l’histoire de leur pays. Ils portent à l’écran les drames causés par la guerre, par les épreuves traversées et Kalatozov remporte la Palme d’or à Cannes avec Quand passent les cigognes en 1958. Certains films réalisés dans les années 60 et 70, ne seront diffusées qu’après la pérestroïka, qui annonce une ouverture sans précédent. Les sujets interdits sont autorisés, les tabous (sexe, drogue, goulag, stalinisme, pauvreté…) sont abordés (la Petite Vera, Est-il facile d’être jeune ?, le Repentir, la Ville zéro) et le cinéma russe renaît avec une nouvelle image. Mais ces images, comme des miroirs, reflètent une société fragilisée, cassée, déboussolée (Taxi Blues de Lounguine, Bouge pas, meurs et ressuscite de Kanevski, Oh ! vous les oies de Bobrova. Les bouleversements et la désorganisation de la société entravent le travail des cinéastes, plusieurs d’entre eux arrivent quand même à tourner, et sont coproduits à l’étranger, le plus souvent par la France. C’est le cas notamment pour Mikhalkov qui réalise Soleil trompeur, Guerman, pour Khroustaliov, ma voiture ! Dykhovitchny, avec Moscou-Parade, Todorovski avec Katia Ismaïlova et Sokourov pour l’Arche russe.

Quand on parle du cinéma russe, il s’agit des vingt années, un peu avant 1900 jusqu’en 1917, puis à partir de 1991 (dissolution de l’URSS). Entre ces deux périodes, on parle de cinéma « soviétique », époque où, en marge de la République de Russie, va se développer des cinématographies dans les quatorze républiques de l’Union. La Géorgie (Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov, 1957) et l’Ukraine (Les Chevaux de feu de Sergueï Paradjanov, 1965), se démarquent alors par une vitalité particulière.

 

 

TRET’JA MEščANSKAJA (TROIS DANS UN SOUS SOL) de ABRAHAM ROOM (1927, noir et blanc muet) –  Nilolaj Batalov (Batalov, le mari), Ljudmila Semenova (Ljudmila, sa femme), Vladimir Fogel’ (Fogel’)

L’imprimeur Vladimir Fogel’ arrive de province à Moscou où il est accueilli au 3 de la rue Meščanskaja, chez son ami Nicolaj Batalov, un ancien camarade d’armée, et son épouse Ljudmila. Jeunes mariés ils vivent dans un sous-sol. Nikolaj part en mission et confie sa femme à son ami. Pendant son absence Vladimir et Ljudmila tombent amoureux. A son retour Vladimir découvre la trahison et quand Ljudmila est enceinte, les deux hommes refusent la paternité et incite la jeune femme à avorter. Le cinéaste, dont ce film est le plus connu, traite de l’attitude des hommes face aux femmes et aussi de la crise du logement à Moscou à cette époque, d’où l’intrigue qui se déroule dans un habitat réduit à un sous-sol.

 

PARIJSKIY SAPOJNIK (LE CORDONNIER DE PARIS)

FRIDRIKH ERMLER (1927 noir et blanc muet)

Veronika Bujinskaya, Bella Tchernova, Iakov Goudkine, Aleksandre Melnikov, Varvara Miasnikova, Fedor Nikitine, Valeri Solovtsov

Katia, une toute jeune fille-mère, est haïe et rejetée par l’ensemble de la population. Quand elle croise sur son chemin un sympathique cordonnier sourd-muet, surnommé « le Parisien », elle va heureusement trouver auprès de lui un peu de réconfort…

 

BABY RIAZANSKIE (LE VILLAGE DU PECHE)

OLGA PREOBRAJENSKAÏA (1927)

Emma Tsessarskaia, Gueorgui Bobynine, Gulja Koroljowa, Elena Maksimova, Kouzma Yastrebetski, Olga Narbekova, Raïssa Poujnaia

Nous sommes en 1914. Anna et Ivan tombent amoureux et vivent dans le petit village russe de Riazan. Mais leur idylle est interrompue par le départ d’Ivan à la guerre. Profitant de son absence, son père fait des avances à la jeune femme et finit par la violer. Quelques années plus tard Ivan, que tout le monde croyait mort, revient du front… Le village du péché offre aussi une belle découverte du monde rural et de ses traditions populaires. Ce mélodrame paysan a été réalisé par l’une des rares femmes cinéastes de cette époque, connue d’abord comme une grande star du début du cinéma.

 

DEVUšKA S KOROBKOJ (LA JEUNE FILLE AU CARTON A CHAPEAU)

BORIS BARNET (1927, noir et blanc, muet)

Anna Sten (Natasha), Vladimir Mikhailov, Vladimir Fogel’ (Fogelev), Ivan Koval-Samborski (Il’ja Sneguirev)

Natacha, une charmante modiste de nature naïve, habite chez son grand-père où elle fait des chapeaux à domicile qu’elle livre en train à Moscou au magasin de Madame Irène. Durant l’un de ses trajets elle fait la connaissance d’Il’ja Sneguirev, un jeune provincial maladroit, arrivé à Moscou les bras chargés de caisses de livres pour étudier à la rabfak, et sans lieu où se loger. Madame Irène ayant proposé une chambre chez elle à Natacha, pour lui éviter de longs trajets, accepte de l’héberger. Pour rendre service à Il’ja, ils décident d’un mariage fictif afin qu’il puisse occuper cette chambre. Les jeunes gens se rencontrent souvent et le jeune homme aimerait que ce mariage devienne réel, mais Natacha refuse. Un jour, Madame Irène paie Natacha avec un billet de loterie correspondant au premier emprunt d’Etat. Le billet sort au tirage et gagne 25000 roubles. Madame Irène et son mari essaient vainement de récupérer l’obligation, mais Natacha refuse et, touchée par l’amour désintéressé d’Il’ja, elle accepte de devenir sa femme.

 

Y CAMOГO CИНеГO MOРЯ (AU BORD DE LA MER BLEUE)

BORIS BARNET (1935, noir et blanc)

Lev Sverdlin (Yussuf), Nikolai Kryuchkov (Aliosha), Yelena Kuzmina (Misha)

Deux marins, Yussuf et Aliosha, font naufrage lors d’une terrible tempête dans la mer Caspienne et, sauvés par des pêcheurs, ils trouvent refuge sur une île du Kolkhoze où, presque instantanément, ils tombent éperdument amoureux de la séduisante Mischa, responsable du kolkhoze. Rivaux, ils travaillent sur place durant la campagne de pêche et, pour conquérir la belle, Aliosha s’éclipse discrètement pour aller lui acheter un collier et des fleurs. Mais Misha, qu’ils croient avoir perdue car elle est passée par-dessus bord lors d’une tempête, réapparaît soudain. Aucun des deux ne la séduira, elle leur confie qu’elle en aime un autre. Dépités, Yussuf et Aliosha se réconcilient et quittent définitivement l’île.

POEZD IDIOT NA VOSTOK [POEZD IDËT NA VOSTOK] (UN TRAIN VA VERS L’EST / RAPIDE EXTRÊME-ORIENT)

LOULI RAJZMAN (1948)

Lydia Dranovskaï, Leonid Gallis, Maria Yarotzkaïa

Le jour de la victoire de 1945, le destin réunit fortuitement dans un compartiment du Transsibérien un officier se rendant à Vladivostok et une jeune Moscovite allant au travail, pour un premier emploi. Entre eux se noue, nous dit Albert Cervoni : « un magnifique roman d’amour, indiffèrent aux schémas moralistes et au volontarisme officiel, sur un sujet digne d’un Jean Grémillon. » Devant la scène où le haut-parleur crachote, Staline aurait déclaré : « Nous aussi nous allons descendre du train », et il aurait quitté la salle. Le critique de La Pravda est réveillé en pleine nuit pour qu’il écrire un article hostile à la place de celui qui doit sortir. A sa suite, toute la presse sera violemment négative, mais le film déjà̀ sorti avait attiré les foules : 16 millions de spectateurs !

DAMA S SOBAKOJ (LA DAME AU PETIT CHIEN)

IOSIF KHEIJFITZ (1959)

Inspiré de la nouvelle homonyme d’Anton Tchekhov – Aleksej Batalov (Gurov), Ija Savvina (Anna, récompensée du prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en 1960)

Anna promène son chien comme son spleen au bord de la mer. Dimitri Gurov remarque cette jolie jeune femme, discute avec elle, la retrouve et passe en sa compagnie d’agréables moments qui se traduisent par des élans tendres. De retour à Moscou Gurov prend conscience que cette rencontre n’était pas un simple flirt. Il la retrouve mais, mariée, il devra attendre longtemps proche de chez elle, du théâtre ou dans un hôtel. Elle se rend aussi assidument à Moscou pour le retrouver et, malgré cette situation d’adultère et d’amour impossible, ils vivent leur passion, partagent des moments de joies, de désespoir et de rêves… Un film tout en délicatesse, harmonie, retenue et d’un romantisme discret 

Баллада o сoлдате (LA BALLADE DU SOLDAT)

GRIGORI TCHOUKHRAÏ (1959, noir et blanc)

Prix de la Meilleure participation pour la sélection soviétique, au Festival de Cannes 1960) – Vladimir Ivachev (Alecha), Janna Prokhorenko (Choura), Nikolai Krioutchkov (le général), Evgueni Ourbanski (l’invalide)

L’histoire se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale. Aliocha, un jeune soldat soviétique, reçoit une décoration pour s’être distingué au front. Il la refuse et demande en échange une permission pour aller embrasser sa mère. Le voyage en train et long et difficile et au cours de ce voyage il fait la connaissance de la belle Choura. Ils tombent amoureux, mais à peine a-t-il le temps de serrer sa mère dans ses bras et de dire a Choura qu’il l’aime, qu’il doit repartir au front. Ils promettent de se revoir, mais, reviendra-t-il ? Un film d’une grande sensibilité.

SOROK PERVYI (QUARANTE ET UNIEME) d

GRIGORI TCHOUKHRAÏ (1956)

Prix spécial du jury à l’unanimité au Festival de Cannes en 1957, inspiré du roman de Boris Lavrénev – Isolda Iswitskaïa (soldat Marioutka Filatovna), Oleg Strijenov (lieutenant Vadim Nikolayevich), Nikolaï Krioutchkov (commandant Ansenti Yevsyukov)

Dans ce film de guerre et d’amour rien ne prédestinait ces deux êtres, que tout sépare, à s’aimer. L’histoire se situe au cours de la guerre civile russe (1918-1921). Maria, une tireuse d’élite de l’Armée rouge, a la garde d’un prisonnier, Vadim, un officier Blanc contre révolutionnaire. Il doit être emmené par un détachement de trois soldats, parmi lesquels se trouve Marioutka qui a tué quarante hommes blancs. Ils traversent des contrées désertiques et se trouvent pris dans une tempête sur la mer d’Aral. Le cadre de guerre disparaît, le décor est dépouillé, ils doivent ôter leurs uniformes mouillés et ils se retrouvent en vêtements ordinaires ce qui leur donne moins de distance. Contrairement au roman et au premier film de Protazonov (1926), la version de Grigori Tchoukhraï insiste sur la relation amoureuse naissante entre ces deux ennemis de classe, en principe irréconciliables. Il en fait : « une tragédie où les sentiments humains se fracassent sur l’autel du totalitarisme. » Si les combattants communistes se trouvent certes valorisés face aux ennemis implacables que sont les Blancs, la force du film est d’avoir isolés Marioutka et Vadim, sur une île déserte en pleine mer d’Aral. Les situations extrêmes auxquelles ils sont confrontés les font peu à peu vaciller. Cela permet au cinéaste de creuser leurs relations, de saisir leur confrontation amoureuse, leurs liens qui se tissent, leur questionnement sur la nécessité de faire la guerre, de faire la révolution à tout prix et de suivre une idéologie qui peut conduire au totalitarisme, donc au drame. L’héroïne se retrouve face à un dilemme amoureux surmonté par la doctrine, par le sens du devoir.

Quand des soldats blancs débarquent sur l’île, Marioutka tue Vadim pour faire triompher la révolution prolétarienne. Le film a aussi été très remarqué pour ses qualités esthétiques.

 

Лаборатория Фантастики (L’HOMME AMPHIBIE)

GUENNADI KAZANSKI (1961)

Adaptation du roman éponyme de Alexander Béliaev – Vladimir Korenev, Anastassia Vertinskaïa, Mikhaïl Kozakov

L’auteur Alexander Béliaev était considéré par ses contemporains comme le « Jules Verne russe ». Paru en 1928 L’homme amphibie, réédité en français récemment, est devenu un classique de la littérature russe fantastique. En 1962 le film remporte un vif succès, il arrive en tête de listes des entrées en Union Soviétique. Salvator, un chirurgien de génie, a un fils Ichtiandre atteint d’une grave insuffisance respiratoire. Il le sauve en lui greffant des branchies de requins et, devenu une créature amphibie, mi-homme mi-poisson, il vit dans les profondeurs sous-marines. Bien que personne ne l’ait jamais vraiment vu il terrorise les pêcheurs d’une petite ville portuaire qui l’ont surnommé le Démon des mers. Pedro Zurita, un riche propriétaire, s’intéresse à cette créature mystérieuse, il aimerait la capturer pour la contraindre à chercher des perles au fond de la mer. Un jour l’homme amphibie sauve de la noyade la belle Guttiera et en tombe amoureux. Mais la jeune fille est fiancée à Pedro Zurita qu’elle épousera par contrainte. Ichtiandre veut la voir, la retrouver, mais ne peut rester longtemps hors de la mer, son élément, s’il séjourne longtemps dans la société des hommes ordinaires, l’asphyxie le guette. Mais par amour, il n’hésite pas à risquer sa vie. L’acteur Vladimir Korénev est doublé dans ce rôle par le champion de nage sous-marine Rem Stoukalov.

 

LE BONHEUR D’ASSIA

ANDREÏ KONCHALOVSKI (1967)

Lya Savvina (Asya),Lyubov Sokolova (Mariya) Aleksandr Sirin (Stepan)

Nous sommes aux environs de Gorki au moment de la moisson. Assia, dite « la boiteuse », ouvrière agricole dans un kolkhoze a deux amants. Sacha le tendre, qui l’aime et veut l’épouser, Stepan qui la brutalise et dont elle attend un enfant. Assia se refuse à faire un choix entre ses deux prétendants. A travers cette histoire le cinéaste retrace également la vie d’un kolkhoze. Le film, jugé trop réaliste (scènes de pauvreté, de beuveries, retour du vieux Tikhomir du Goulag) a été censuré par les autorités soviétiques jusqu’en 1988.

 

RABA LJUBI (L’ESCLAVE DE L’AMOUR ou UN DRAME POIGNANT DU CINEMATOGRAPHE)

NIKITA MIHALKOV (1976)

Elena Solovaj (Ol’ga) Rodion Nahapetov (Potoskij), Aleksandr Kaliagin (Kaliagin) Oleg Basilašvili (Južakov), Evgenij Steblov (Kamin)

Nous sommes en 1917. Une équipe de cinéma tourne en Crimée un mélodrame bourgeois classique tandis qu’a Moscou la révolution gronde. Ol’ga, une étoile du cinéma muet et vedette du film, se trouve soudain confrontée à la réalité révolutionnaire. Amoureuse de Potoskij, opérateur et militant révolutionnaire, elle va l’aider – plus par amour que par idéologie politique – à cacher les bobines tournées clandestinement et qui révèlent les violences des troupes tsaristes. Découvert, Potoskij est abbatu, et Ol’ga est dénoncée par un conducteur de tramway. Elle se retrouve seule dans un wagon qui, hors de contrôle, dévale une pente et est poursuivi par une horde de cavaliers cosaques.

 

NEOKONčENNAJA PIESA DLJA MEHANIčESKOGO PIANINO (PARTITION INACHEVEE POUR PIANO MECANIQUE)

NIKITA MIHALKOV (1977)

Adapté d’une pièce de jeunesse Ce fou de Platonov et de trois autres nouvelles d’Anton Tchekov – Antonina šuranova, Elena Solovej, Evgenja Glušenko, Aleksandr Kaliaguine (Platonov) Libre interprétation d’après la pièce d’Anton Tchekov

L’histoire se situe dans la Russie de la fin du XIXe siècle. Dans sa magnifique propriété, Anna Petrovna reçoit avec faste sa famille et ses amis pour fêter l’arrivée du printemps. Parmi les invités se trouve Mihail Platonov, un instituteur libre-penseur et séducteur, qui reconnaît Sofija, la jeune épouse du fils de la maison, son grand amour de jeunesse. Au cours de repas, de promenades et d’apartés Mihail confie à Sofija  à quel point il a été malheureux quand elle l’a quitté. Troublée elle ressent soudain un désir de remonter le temps, de saisir cet amour retrouvé et de repartir à zéro. Son mari les surprend et, anéanti, il va se confier à sa mère qui a déjà tout compris et il décide de partir sur-le-champ. Conscient du mal dont il est la cause, Platonov s’enfuit dans la campagne, hurlant : « Je suis un zéro, un raté, je n’ai rien fait de cette vie ! » ; Il tente alors de mettre fin à ses jours.

 

Жестокий романс (ROMANCE CRUELLE)

ELDAR RYAZANOV (1984)

Larissa Gouseeva, Nikita Mikhalkov, Alisa Freindlich, Andreï Petrenko

Dans la petite ville provinciale de Brekhilov sur les rives de la Volga, la veuve Ogoudalova a trois filles, Larissa reste la dernière à marier. Jeune et belle, elle éveille l’intérêt du riche armateur Serguei Paratov, mais quand celle-ci s’apprête à lui déclarer son amour, ils disparaît, contraint de quitter la ville pour régler des affaires. Larissa a un autre prétendant, Karandyshev, qu’elle méprise.

 

ASSA

SERGUEÏ SOLOVIOV (1987)

C’est l’histoire d’un vieil intellectuel qui se rend à Yalta, en compagnie de la jeune Alika sa bien-aimée, pour s’emparer d’un violon d’une grande renommée. Un jeune musicien tombe amoureux de la belle et des bandits tuent ce jeune rival. Alika l’apprend et se venge. Assa, considéré comme un film culte, est un véritable manifeste de la jeunesse russe qui aspire aux changements, à plus d’émancipation et de liberté. Influencé par les jeunes artistes underground on y retrouve le jeune musicien Bananan, le personnage principal, interprété par Sergueï Bugaev (artiste, musicien et performer). La bande originale est signée par plusieurs groupes de rock cultes (Aquarium, Kino) , il en est de même pour les décors conçus par des artistes tels que Timur Novikov, Oleg Kotelnikov et Mikhaïl Fedorov-Roshal. Cette affirmation libertaire montre une génération qui, bien qu’elle soit confrontée aux bouleversements politiques de la Perestroïka, garde toute sa vitalité créatrice : « La vie aspirait à s’échapper des règles imposées par le régime soviétique. La rébellion grandissait. L’espoir de changement était dans l’air quand S. Soloviov prit la décision de faire un film sur la jeunesse, ayant pour priorité la culture secrète et clandestine de l’underground. La jeunesse cherchait des idoles et applaudissait les bardes. » (Irina Chylova, Encyclopédie Kirill et Mefodi)

  

MALIENKAIA VERA (LA PETIT VERA) 

VASSILI PITCHOUL (1988)

Natalia Negoda (Vera), Andrei Sokolov (Sergueï), Youri Nazarov (le père), Ludmila Saïzewa (la mère)

Ce film, réalisé par un couple de jeunes cinéastes âgés de moins de trente ans, a fait couler beaucoup d’encre et suscité de vives réactions dans la presse et le public. Les uns étaient choqués par la déchéance de la jeunesse, les autres trouvaient courageux de mettre en lumière les conflits familiaux et leur impact sur les enfants. Vera, jeune et jolie, vit dans une petite ville industrielle. Pour s’éloigner de l’univers sombre de ses parents alcooliques qui se disputent sans cesse, elle suit ses désirs, son envie de vivre. Elle fait les quatre cents coups, sexe et drogue, avec son amie Titaschkaïa, elle porte des mini-jupes, n’aime que le rock et les copains. Un soir au bal elle tombe sous le charme du beau Sergueï, quelques temps plus tard elle est enceinte…

 

Ангелы в раю (DES ANGES AU PARADIS)

EVEGUENI LOUNGUINE (1993)

Grand prix au Festival du cinéma russe d’Honfleur. D’après une nouvelle de Piotr Kojevnikov

– Dinara Droukarova (Galia, Meilleur rôle féminin au Festival du cinéma russe d’Honfleur), Konstantin Gaiokho (Micha), Aliona Svintsova (Varvara) Vladimir Kabaline (Nicolai, dit Nixon)

Leningrad dans les années 1970. C’est l’histoire de deux adolescents Galia issue d’une famille d’aristocrates déchus, et Micha, bègue (sa mère a été assassinée quand il était enfant), et dont l’avenir est suspendu à une possible mobilisation pour l’Afghanistan. Ils passent le plus clair de leur temps à boire de la vodka, à fumer et écouter de la musique. La mère de Galia, alcoolique, voudrait la marier à un militaire soviétique, mais c’est Micha qu’elle aime. Comment vivre leur amour dans cette situation ambiante où l’alcool entre ‘ouvre les portes d’un paradis illusoire qui peut très vite virer à l’enfer ? Premier film du cinéaste, sorti en France qu’en 1999.

 

LA NOCE

PAVEL LONGUINE (1999)

Mariya Mironova (Tania), Marat Basharov (Michka), Alexandre Semtchev (Borzov)

La jolie Tania, après avoir vécu chez son riche amant Borodine, mafieux et capitaliste, revient dans son village minier natal où elle retrouve Michka, son ami d’enfance qui ne l’a pas oublié. Elle s’empresse de lui témoigner ses sentiments et elle lui demande de l’épouser. Personne dans sa famille n’est enthousiasmé par l’annonce de ce mariage. Le père, héros du village, imagine déjà le nombre de convives à inviter, et le grand-père n’apprécie guère l’idée de l’arrivée de Tania dans sa famille. Les camarades de Michka se cotisent pour qu’il puisse acheter un cadeau à la mariée mais le futur époux est si heureux qu’il dilapide la somme en tournées générales de vodka. Néanmoins la noce commence envers et contre tout, sans argent et peut-être sans marié… Borodine, qui veut récupérer sa maîtresse, charge Borzov, le commissaire de police local qu’il a corrompu, de perturber la noce…

 

OVSYANKI (LE DERNIER VOYAGE DE TANIA)

ALEKSEI FEDORCHENKO (2011)

Plusieurs prix à la Mostra de Venise 2010, dont les prix Osella et FIPRESCI –  Igor Sergeyev (Aist), Yuriy Tsurilo (Miron), Yuliya Aug (Tanya), Victor Sukhorukov

Miron dirige une usine de papier dans une petite ville de l’Asie centrale. Sa femme Tanya, sa Tanioucha comme il l’appelait, vient de mourir. Elle était artiste-peintre, elle était l’amour de sa vie. Aist, son meilleur ami, est le photographe de l’usine. Miron lui confie qu’il veut respecter le rituel des Méria, une ancienne tribu russe, et effectuer un dernier voyage aux côtés de son épouse jusqu’au fleuve Volga où son âme sera préservée. Cette tradition ancestrale du rituel de deuil, d’origine finno-ougrienne, va irriguer tout le film. Il demande à Aist de l’accompagner. Après la toilette mortuaire, la première de ces étapes consiste pour lui à “fumer”, c’est-à-dire à évoquer à haute voix les moments les plus heureux de sa vie avec la défunte, un travail de mémoire qui va l’aider à faire son deuil. Ainsi, au cours du voyage, Miron partage avec son ami les souvenirs les plus intimes de sa vie de couple…  Au bord du lac sacré, le feu embrase la bien-aimée dont les cendres seront dispersées. Mais au moment où ils font leurs adieux à Tanya, Miron comprend qu’il n’était pas le seul à l’aimer… « Le dernier voyage de Tanya se présente comme une balade onirique à la lisière entre deux mondes différents, mais complémentaires : celui des vivants et des morts, celui des rêves et de la réalité, celui de l’amour et de la mort. »

 

DEUX JOURS

ADVOTIA SMIRNOVA (2011)

Prix du public Festival du cinéma russe à Honfleur – Fiodor Bondartchouk (Piot Drozdov), Ksenia Rappoport (Macha)

Piot Drozdov, un haut fonctionnaire de Moscou, débarque en province dans un musée : le gouverneur veut s’approprier les terres du musée pour y construire une résidence. Sa rencontre avec Macha, spécialisée en littérature et directrice du musée, change le cours de sa vie. Ils ressentent une irrésistible attraction : C’est le coup de foudre !

 

Четырнадцать плюс (14+) (14 ANS, PREMIER AMOUR)

ANDREÏ ZAÏTSEV (2015)

Grand Prix du Jury au Festival de Cinéma Russe de Honfleur – Gleb Kalyuzhny (Lyosha/Alex), Ulyana Vaskovich (Vika), Olga Ozollapinia (la mère de Lyosha), Alekseï Filimonov (Volkov)

Deux adolescents vivent leurs premiers émois amoureux, mais ils appartiennent chacun à une bande rivale. Lyosha, un jeune blondinet, vit dans la banlieue d’une grande ville avec sa mère, ils habitent dans un univers miteux de barres d’HLM néo-communistes et ses copains ont l’habitude de se bagarrer avec les élèves du lycée voisin. Vika, une jolie ado blonde, très attirante sur facebook, embrase le cœur de Lyosha qui réussit peu à peu à la conquérir. Ce dernier va devoir surmonter bien des obstacles pour vivre ce premier amour. Andreï Zaïtsev, dont c’est le troisième long-métrage, aborde avec justesse cette première passion amoureuse. Il en saisit les maladresses, la peur des premiers pas vers l’autre, les espoirs, la crainte d’accéder trop vite au monde des adultes, souvent violent.

 

Нелюбовь FAUTE D’AMOUR (LOVELESS)

ANDREÎ ZVIAGUINTSEV (2017, Prix du Jury au Festival de Cannes 2017)

Maryana Spivak (Genia), Alexey Rozin (Boris), Matvei Novikov (Alyosha), Marina Vasilyeva (Masha), Andris Kress (Anton)

Boris et Genia, un couple qui se déchire, sont en instance de divorce. L’un et l’autre a déjà refait sa vie : Genia a rencontré un nouvel amour, un homme d’une quarantaine d’année à l’allure sportive et sécurisante, et Boris est amoureux d’une jeune femme, enceinte, à qui il a juré un amour éternel. Aussi veulent-ils vendre au plus vite leur appartement. Mais Boris et Genia ont eu ensemble un petit garçon, Aliocha, triste et solitaire, qui suit silencieusement avec des larmes cachées, l’évolution de la situation, des disputes et où, il comprend qu’il est plutôt une gêne, l’absent dont on fait peu cas. Alors un matin Aliocha disparaît et pendant plusieurs heures ses parents ne s’en aperçoivent pas. Quand ils découvrent, un peu tard, son inquiétante disparition, ils se rejettent la faute de cette fugue. Boris, le père si souvent absent, tente de prendre les choses en main et mène les recherches… Au regard de leur passé, on comprend qu’eux aussi ont manqué cruellement d’amour (parental ou conjugal) et qu’ils ressentent des fêlures aussi vives que celle de leur enfant. Un enfant à qui ils n’ont pas su donner de l’amour. Un film fort, un drame sombre et poignant aux accents bergmaniens.

 

 LITTERATURE

Dans l’histoire de la littérature mondiale, la littérature russe apparaît aussi vaste que l’Empire de Russie à l’époque des tsars. Quelle gageure de se risquer à en faire un bref panorama, même en ne se limitant qu’aux grands classiques !  Je me limiterais donc aux écrivains que j’ai lu, des auteurs phares il est vrai, les seuls que je connaisse vraiment, d’où cette approche sélective et subjective. De plus, en me plongeant dans la vie, qu’en réalité je connaissais assez peu, de ces grands écrivains et de ces grands poètes, j’ai été troublée de constater qu’un très grand nombre d’entre eux sont passés par la prison, l’exil, la censure, la tragédie du duel, l’approche de la folie, une solitude profonde voire désespérée… C’est pourquoi je n’ai pas résisté à présenter brièvement leurs biographies, elles donneront, je crois, un éclairage sensible et important au lecteur. On a coutume de dire que les écrivains mettent beaucoup d’éléments autobiographiques dans leur œuvre, les grands auteurs russes n’échappent pas à cette tradition, c’est aussi l’une des raisons qui m’a incité à faire ce choix.

 

ROMAN

ALEXANDRE POUCHKINE (1799-1837)

A propos du poète – descendant par son père d’une des plus anciennes familles de Russie, et par sa mère, d’un prince abyssin qui lui donna du sang noir – Henri Troyat nous rappelle que : « Ses premiers vers furent écrits en français et que ce fut un Français qui le tua. ». Ses parents, peu affectueux, lui offre un cadre de vie propice au développement de son génie littéraire. Chez lui on parle le français et le jeune Alexandre découvre les grands auteurs français dans la bibliothèque familiale. Poète météore, il surprend déjà très jeune ses contemporains et on dit souvent de lui qu’il a révolutionné la littérature russe. Pourquoi ?  Son premier mérite est d’avoir imposé en littérature l’usage du russe (la langue parlée), au profit du slavon (la langue de l’Eglise) dit aussi vieux-russe. Pour Francis Lacassin Pouchkine : « a balayé les tabous et les conventions du roman bourgeois pour faire entrer « le peuple » – la réalité – dans la littérature de fiction. En mettant en scène bergers, bohémiens, soldats, hussards, cordonniers, marchands de cercueils, pêcheurs, domestiques – qui avant lui n’étaient pas dignes de devenir des personnages, il s’est affirmé comme le créateur de la littérature moderne. »

Son œuvre magistrale (poèmes, pièces de théâtre, nouvelles, romans en vers et en prose), interpelle par la variété des genres. Durant ses années de lycée, où ses amis sont presque tous férus de poésie, ses premiers poèmes, d’inspiration très variée, sont remarqués. Batiouchkov est son poète préféré. Jeune homme Pouchkine mène une vie mondaine et dissolue. Il commence la rédaction d’un long poème national Rousslan et Ludmilla, mais son attitude provoquante et ses vers séditieux le font passer pour un frondeur et, rappelé à l’ordre par la police, il est contraint à l’exil en 1820. Il découvre la Crimée et les magnifiques paysages du Caucase, des horizons nouveaux et un monde rural encore primitif qui lui inspirent des poèmes lyriques et plusieurs récits (Le prisonnier du Caucase, La Fontaine de Bakhtchisaraï, Les Frères brigands) Sa vie amoureuse est mouvementée, il s’intéresse à la politique et s’installe à Odessa où il étudie Goethe et Shakespeare.

De nouveau contraint de s’exiler (1824-1826) le poète part vivre dans le domaine maternel de Mikhaïlovskoïé où son père est chargé de surveiller sa correspondance. Cette solitude forcée va contribuer à son évolution spirituelle et à son essor littéraire. Il poursuit l’écriture d’Eugène Onéguine et s’attaque à Boris Godounov. Exilé depuis cinq ans il souhaite retrouver ses amis et la vie joyeuse de Saint-Pétersbourg. Il n’a que vingt-sept ans ! Mais ses démarches pour son retour auprès de l’empereur sont vaines et il imagine fuir à l’étranger. Quand Nicolas 1er monte sur le trône il renouvelle sa demande et, en 1826, il est autorisé à se rendre à Moscou où il est reçu par l’empereur avec lequel il tissera des liens d’amitié. La société moscovite l’accueille chaleureusement, mais la vie mondaine ne semble plus le séduire comme auparavant et il décide de retourner s’isoler à Mikhaïlovskoïé, ses séjours y seront réguliers à l’automne. Cependant, la solitude lui pèse : « Je n’ai pas de but devant moi, mon cœur est vide et mon esprit inoccupé », écrit-il à vingt-neuf ans.  Il tombe amoureux de la belle Nathalie Gontcharova, la demande en mariage mais, peu fortuné, un poète a-t-il une chance ? L’empereur autorise la sortie de Boris Godounov, une œuvre qui va lui assurer de substantielles rentrées et en 1830 Pouchkine est officiellement fiancé. Il termine Eugène Onéguine, publie des tragédies, des nouvelles, Les Récits de Belkine, une série de poésies lyriques. Il devient le chantre de la liberté et le poète de l’empire.

L’été 1833 il entreprend un voyage dans les provinces de l’Est, écrit des contes (Le Pêcheur et Le Petit poisson, la Princesse morte et les sept preux), des poèmes (Angelo, Le Cavalier bronze), jette sur le papier les premières pages de L’histoire de la révolte des Pougatchev et de la Fille du capitaine, et publie l’une de ses nouvelles les plus connues La Dame de pique. La vie à Saint-Pétersbourg lui coûte cher et il souhaite de nouveau s’en éloigner : « il est temps, mon amie, il est temps, le cœur veut le repos », écrit-il à sa femme avec laquelle il a eu trois enfants. En 1836 sa mère meurt et, devenue plus tendre que dans sa jeunesse, il regrette d’avoir eu si peu de temps pour en profiter. Pouchkine, heureux d’être autorisé à fonder une revue littéraire, va très vite voir sa vie s’assombrir. Il reçoit une mystérieuse lettre anonyme : « vous êtes le grand maître de l’ordre des cocus ». Bien qu’il soit sûre de l’innocence de sa femme, son honneur est atteint. Georges d’Anthes – un jeune officier français, fils adoptif du baron de Heeckeren, ministre des Pays-Bas en Russie, – a une attitude ambiguë et provoquante vis à vis de sa femme. Pouchkine le fait savoir, on lui répond que ce n’est pas sa femme qu’Anthes tente de séduire mais sa belle-sœur. Peu convaincu, il adresse une lettre au baron lui demandant que son « chenapan de fils » cesse « son manège » : le duel ne peut être évité. Anthes blesse le poète au ventre, il s’affaisse, se relève et blesse son rival au bras. La blessure de Pouchkine sera mortelle. Après trois jours d’agonie – ou il innocente sa femme, pardonne à Anthes et bénit ses enfants – il reçoit de l’empereur un billet lui disant de mourir en chrétien et qu’il prendra sa famille sous sa protection : le poète rend son dernier souffle. Sa mort est un vrai deuil national, cinquante mille personnes défileront devant son cercueil. Les autorités craignant des débordements, c’est dans la plus stricte intimité qu’il sera conduit dans son ultime demeure au monastère de Sviatogorsk. Sa disparition brutale a 37 ans a servi sa légende.

Eugène Onéguine (1833)

Ce célèbre roman écrit en vers (Pouchkine a mis près de huit ans pour l’achever) a connu un retentissent énorme dans la littérature russe : « avec ce roman commence ce glorieux épanouissement du roman en Russie qui fut un des événements les plus significatifs de la culture européenne moderne » Eugène Onéguine est un mondain, d’éducation à la française, orphelin, taciturne et égoïste. A la suite d’un héritage il s’installe à la campagne où il a comme voisin un certain Lenski, un jeune poète romantique. Ils fréquentent la demeure de madame Larine qui vit avec ses deux filles Tatiana, qui tombera amoureuse d’Onéguine, et Olga, la fiancée de Lenski. Tatiana adresse une lettre pleine d’ardeur à Onéguine où elle lui avoue son amour mais, ce dernier, sceptique, la sermonne et lui exprime sa surprise devant ce manque de convenance pour une jeune fille de se laisser emporter aveuglement par ses sentiments. Onéguine, pour combler son ennui va, au cours d’un bal, s’amuser à courtiser Olga. Lenski le défie en duel et Onéguine le tue.  Plus tard, de retour à Saint-Pétersbourg Onéguine retrouve Tatiana qui, bien que mariée, lui avoue l’aimer toujours. Il ressent soudain une vive passion pour elle et tente en vain de la conquérir : « Le bonheur était si proche, si possible », chante Pouchkine. Elle lui confie qu’elle ne trahira jamais l’homme qui l’a épousée. L’histoire de cet amour raté est subtilement traduite par Pouchkine dont le roman a inspiré un opéra célèbre.

 

FEDOR MIKHAÏLOVITCH DOSTOÏEVSKI (1821-1881)

Sa mère, atteinte d’un mal incurable, meurt quand il est adolescent, et son père, un médecin, autoritaire, avare et brutal, a sans doute été assassiné par ses propres paysans exaspérés par sa dureté. Cette rumeur terrifie le jeune Fedor qui n’a que dix-huit ans ! Lui aussi a subi sa cruauté et il s’interroge sur l’envie indicible qui l’habitait de voir ce père disparaître… Cette pensée va le hanter toute sa vie et expliquer ses tourments. Quand Ivan Karamazov s’exclame en ces termes : « Qui ne désire la mort de son père ? », cette interrogation n’est-elle pas dictée par ce parricide qui lui a traversé l’esprit ? Son père le destinait à une carrière militaire alors que très jeune, il est un lecteur infatigable et montre son intérêt pour la littérature. Il renonce à sa carrière militaire et débute dans les lettres en traduisant en russe Eugénie Grandet de Balzac. Sa publication Les Pauvre Gens (1846) connaît un succès immédiat et il espère pouvoir vivre de sa plume. Le Double, par son élément fantastique – qui plonge le lecteur dans un univers à la Hoffmann, le grand auteur du réalisme fantastique allemand – déroute la critique. Ce concept du double sera récurrent dans son œuvre, il est la face cachée de ses personnages.  Déçu par la critique radicale Fedor se rapproche du cercle socialisant et se lie avec les mouvements progressistes russes. Un beau matin il est arrêté, jeté en prison et, accusé d’avoir diffusé des écrits antigouvernementaux, il est condamné à mort. Gracié juste à temps par le tsar il est, chaînes aux pieds, envoyé au bagne en Sibérie (1849-1858) où il va découvrir le vrai peuple russe et écrire Les Carnets de la maison morte. Virgil Tanase, l’un de ses biographes, dit à propos du romancier : « Ce qui est fondamental chez Dostoïevski, c’est que la beauté naît de la souffrance. Dans la misère morale la plus totale, il existe en chacun une lumière. »

Autorisé à rentrer à Saint-Pétersbourg en 1859, il retrouve la liberté d’écrire, Humiliés et offensés (1862) est son premier grand roman. Ecrivain reconnu, il traverse plusieurs épreuves : morts de sa femme et de son frère, dettes, attraction pour la roulette russe, nouvelle crise d’épilepsie, passion malheureuse… Dostoïevski explore les chemins de son labyrinthe intérieur, il sonde son propre univers souterrain. Il s’intéresse aux puissances obscures de l’âme, elles lui ouvrent des portes qui lui inspireront la trame de ses grands romans.  L’intrigue part souvent d’un fait divers (un crime) qui se développe à la manière d’un roman policier : Crime et châtiment (1866) relate un forfait au cœur d’une actualité brûlante. Il passe un contrat avec un éditeur qui lui impose des délais insoutenables (le Joueur, 1867), sous peine de le priver de ses droits d’auteur. La publication de L’Idiot (1868-1869), ne recouvre pas ses dettes, il fuit ses créanciers et la Russie. Il se rend en Europe avec sa jeune femme où ils vont vivre dans une grande détresse matérielle. C’est l’époque de L’éternel mari (1870), des Démons ou Les Possédés (1871) selon la traduction. Avec Le Journal d’un écrivain (1871-1881), Fedor livre ses réflexions sur l’actualité, les bouleversements politiques et sociaux, les faits divers…

Rentré à Saint-Pétersbourg, le grand romancier, malade, épuisé par les privations et les blessures de la vie, n’a que cinquante ans. Avec son dernier grand roman Les Frères Karamazov (1879-1880), sa renommée est à son paroxysme. Mais le destin le rattrape, il meurt brutalement d’une hémorragie et ses obsèques solennelles sont suivies par une foule immense.

Les Nuits blanches (1848) – éd. Babel Actes Sud, 1992

Dans ce roman d’amour de jeunesse, Dostoïevski relate une rencontre où les protagonistes se bercent d’illusions trompeuses qui provoquent de faux espoirs, des désillusions. Par une nuit, une de ces belles et joyeuses nuits blanches, claires et éphémères, une jeune homme, rêveur et solitaire, marche seul dans les rues désertes de Saint-Pétersbourg. Au bord de la Néva, il rencontre Nastenka, une jeune fille éplorée par un amour perdu. En un éclair il tombe amoureux de cette belle inconnue, il rêve, il espère puis il déchante : elle en aime un autre. L’écrivain décrit avec finesse les traits, les sentiments et les émotions de chacun de ses personnages.

L’éternel mari (1870)

Ce roman est l’un des plus troublants de l’œuvre de Dostoïevski. Il serait d’ailleurs vain de vouloir le résumer ou d’en faire une brève recension. En voici juste l’argument, le fil ténu d’une œuvre inclassable qui a fasciné nombre de psychanalystes et qui faisait partie des romans favoris de l’écrivain américain Henry Miller.

Le mari, c’est Pavel Pavlovitch Troussotsky. Il entreprend, accompagné de sa fille Lisa âgée de huit ans, une démarche administrative – en fait une demande de promotion – qui le mène à Saint-Pétersbourg. Troussotsky, veuf depuis quelques mois, rencontre de manière impromptue Veltchaninov, qui a été l’amant de feue sa femme : il sait que Veltchaninov est le père biologique de Lisa. Or, plutôt que de fuir cet homme qui l’a bafoué au-delà de tout, Troussotsky s’invite et s’incruste chez son ex rival et le livre est le récit – qui va du drame au Vaudeville – de la confrontation entre les deux hommes. D’aucuns y ont vu la fascination jalouse d’un mari impuissant qu’exerce sur lui l’auteur de son infortune conjugale, la sensualité morbide que génère parfois la jalousie, d’autres encore voit une homosexualité refoulée chez Pavel Pavlovitch à l’endroit de son tortionnaire : une sorte de syndrome de Stockholm avant la lettre. Dostoïevski est le maître des rouages subtils, de l’éventail infini des sensibilités humaines et des comportements qu’elles engendrent.

LEON TOLSTOÏ (1828-1910)

Léon Tolstoï, né dans la province de Toula et issu d’une famille de l’aristocratie russe, partage sa vie entre l’exploitation de son domaine familial, ses nombreux voyages en Europe et la littérature. Avec La Guerre et la Paix (1867), il remporte un immense succès, confirmé par la publication d’Anna Karénine (1875-1877).

Poursuivi par le sort du petit peuple russe, principalement celui des paysans, Tolstoï va peu à peu devenir un écrivain moralisateur. Jeune, il choisit de s’adresser dans un langage secret à Sophie Andreïvna, l’élue de son cœur. Surpris qu’elle réussisse à déchiffrer le cryptogramme qu’il lui a adressé, il comprend à quel point il est en accord spirituel avec cette jeune femme dont il est amoureux. Il reproduira cette scène d’aveux dans Anna Karénine (fiançailles de Lévine et de Kitty). Il épouse Sophie avec qui il partage un bonheur immense, remis en question de façon terrible des années plus tard. En effet Tolstoï va connaître au fil du temps les affres de la dépression, de l’angoisse face à la vie : « J’aimais, j’étais aimé, j’avais de bons enfants, un grand domaine, la santé (…) Brusquement ma vie s’arrêta. Je n’avais plus de désirs (…) la vérité était que la vie était absurde. J’étais arrivé à l’abîme…homme bien portant et heureux, je pensais que je ne pouvais plus vivre. »  Tolstoï, comme son personnage Lévine, est une âme tourmentée : « Je ne puis vivre, s’écrie Lévine, sans savoir ce que je suis et pour quel but j’existe. » Durant la dernière partie de sa vie Tolstoï veut se détacher d’une existence confortable, vendre ses biens et se dépouiller de presque tout, pour vivre avec le moins d’attaches matérielles possibles. Il aimerait endosser le costume des paysans mais atteindrait-il pour autant leur âme ? Il rejette les exigences du sexe associé à la vie conjugale, il prêche l’abstinence dans le mariage, il a pourtant eu treize enfants avec sa femme ! Sa relation de couple va devenir impossible, elle aura duré quarante-huit ans, jusqu’en 1910 ! Ultime année pour l’écrivain qui prend soudain la décision de partir en pleine nuit : « Mon âme aspire au repos et à la solitude ». En route il prend froid et atterrit dans une gare où le chef de gare le recueille dans son appartement. Son état alarmant s’ébruite, famille, amis, admirateurs, curieux se pressent. Lui qui voulait partir sans bruit, retrouve une agitation autour de lui… Le 7 novembre 1910, il s’éteint et sa postérité est en marche.

Le bonheur conjugal (1859)

Il s’agit de l’une des premières œuvres littéraires de Tolstoï. Macha, une jolie orpheline de dix-sept ans, tombe amoureuse de son tuteur, un homme d’âge mûr. Ils se marient, ont deux enfants et leur vie s’écoule sereine et joyeuse. Plus tard Macha est attirée par une vie mondaine et frivole, alors que son mari fuit ce type d’existence.  Une distance s’installe entre eux et leur amour s’en trouve ébranlé. Macha tente de surmonter cette crise, de retrouver la vie d’avant. Mais son mari ne la désire plus comme au premier jour, quelque chose s’est brisé, il ne la regarde plus que comme la mère de ses enfants : « À dater de ce jour, prit fin mon roman avec mon mari ;

l’ancien sentiment devint un souvenir précieux, perdu à jamais, et un nouveau sentiment d’amour pour mes enfants et pour le père de mes enfants posa les bases d’une nouvelle vie heureuse, mais cette fois d’une toute autre façon…» Tolstoï livre dans ce roman une réflexion sur l’amour et la fragilité des sentiments, et aussi sur ce qui en fait leur pérennité.

Anna Karénine (1875-1877)

L’intrigue tourne autour d’un mariage désenchanté et d’un amour impossible. Anna Karénine, une jeune femme issue d’un milieu aisé, a été mariée sans amour à un haut fonctionnaire. Quand elle rencontre Vronsky, un officier brillant, frivole et somme toute assez superficiel, elle s’éprend de lui. Mais comment vivre avec ses sentiments ? Tolstoï peint avec justesse l’âme tourmentée de cette jeune femme, aux prises avec sa passion : elle lutte pour tenter de repousser cet amour, ne pas trahir son mari. Elle finit par succomber, choisit de partir et abandonne son enfant pour suivre celui qu’elle aime à l’étranger. Mais son caractère droit ne s’accommode pas de ses actes, elle souffre de sa conduite, sa lâcheté, sa fuite et sa relation passionnelle en subit les contrecoups. Anna, désorientée et perdue dans cette nouvelle vie, se culpabilise et ses tourments vont la conduire à une décision fatale. En parallèle de cette histoire, l’auteur déroule un autre récit, celui de Lévine –  un homme tourmenté qui s’intéresse aux autres mais dont le mal être, l’incite à se replier sur lui-même. Tolstoï met beaucoup d’éléments autobiographiques dans ce personnage, quant à Kitty, présentée comme une femme spirituelle qui se plaît dans une vie sans artifice, elle est le contraire d’Anna qui a besoin de briller dans une société raffinée. Vronsky, de par sa vie scandaleuse, ne côtoie plus les salons de Saint-Pétersbourg et, terrassé à la mort d’Anna, il n’est plus qu’un soldat mercenaire. Le drame moral qui les a tous deux affectés, les a menés à un indéniable besoin de rédemption. 

La Sonate à Kreutzer (1889)

Lors d’un voyage en train, Pozdnychev se confie à un inconnu. Ce dernier se sent rapidement mal à l’aise face à un Pozdnychev tour à tour fantasque, violent, exalté, libertin et puritain. Après son mariage tardif avec une jeune et jolie femme, Poznydchev découvre ses infidélités – un violoniste avec lequel elle joue de toute sa ferveur « La Sonate à Kreutzer » – et son âme tourmentée atteindra le paroxysme de la jalousie qui le mènera jusqu’au crime. Ce court roman – écrit par Tolstoï peu après avoir été fasciné par l’écoute de cette Sonate de Beethoven – relate une passion dévastatrice : la musique peut-elle donner naissance à des sentiments incontrôlables tels que la jalousie et la démence ? Quand Tolstoï écrit ce livre, c’est l’époque où il entre dans une phase mystique qui le torture. Il s’en prend non seulement au mariage mais aussi au désordre charnel qu’il engendre et l’éloigne de jour en jour de sa relation avec Dieu. Il prône la chasteté et se révèle d’une misogynie confondante. Le plus curieux est que tous ses manuscrits sont relus et corrigés par sa propre épouse qui découvre, effarée, la haine secrète que lui porte son mari. En effet, elle se reconnaît dans maints passages : « J’ai senti (…) que ce récit était dirigé contre moi, note-t-elle dans son Journal intime (1862-1910). Il m’a humiliée à la face du monde. »

La Sonate à Kreutzer est un récit tellement outrancier que le tsar en interdit la publication, il faudra attendre plusieurs décennies pour que le livre soit réédité. Quand Tolstoï écrit : « Nous étions deux forçats liés à la même chaîne qui se haïssaient, s’empoisonnaient l’existence et qui s’efforçaient de ne rien voir », il parle de son propre couple. Mettant ses actes au bout de ses idées, Tolstoï finit sa vie seul et meurt un soir dans une gare. Sa femme, en lisant sa lettre d’adieu, tente de se noyer dans un étang….  En 1892 Sophie Tolstoï, réplique et donne une réponse à La Sonate à Kreutzer, en écrivant A qui la faute ? un texte inédit en Russie, resté secret, et publié en français (A qui la faute ? Réponse à Léon Tolstoï. La sonate à Kreutzer, Albin Michel, 2010) à l’occasion du centenaire de la mort de l’écrivain. Quant à Léon Tolstoï, fils il donnera à son tour une réponse à ce livre dans Le Prélude de Chopin.

IVAN ALEXANDROVITCH GONTCHAROV (1812-1891)

Cet écrivain, considéré comme le fondateur du roman réaliste russe, moins connu que Tchekov ou Pouchkine est pourtant un auteur majeur de la littérature russe de la seconde moitié du XIXe siècle.

Oblomov (éd. Gallimard, 2007) Trad. Arthur Adamov

Ce livre du sommeil – comme le définissait Gontcharov lui-même, un écrivain admiré par Tolstoï et Dostoïevski, ses contemporains – est considéré comme son chef-d’oeuvre. Le personnage Oblomov – qui signifie en russe « cassure, tesson, débris ? » – est devenu en Russie un mythe littéraire universel au même titre qu’Orphée, Don Quichotte ou Don Juan. De ce livre est né un néologisme – oblomovchtchina (oblomovisme) – dans la langue russe, et qui désigne la maladie du sommeil, de l’inaction : « le fléau de la vie russe », selon le critique Dobrolioubov, contemporain de Gontcharov. En France cet auteur, assez méconnu, a été redécouvert ces dernières décennies par de nouvelles traductions et aussi par l’adaptation de ce chef-d’œuvre à la Comédie française, dont le personnage d’Oblomov était remarquablement interprété par Guillaume Gallienne. Détaché de tout, envahi par une indicible paresse, Oblomov vit couché, lové dans ses couvertures. Esthète en robe de chambre, il rêve : « d’une existence sans nuages, sans orages, sans ébranlements intérieurs. » Le jour où son ami d’enfance Stolz tente de le faire réagir en le rendant amoureux, même l’amour de la belle Olga, n’arrivera pas à le tirer de sa léthargie. Elle espérait pouvoir provoquer la métamorphose  » que l’amour ferait subir à cette âme ensommeillée « . Mais Oblomov mettra lui-même un point final à ses faux espoirs en lui confiant : « je ne me suis pas adapté au monde. » Ce roman, d’apparence légère, se révèle profond par l’observation aigue de la vie de province, par la remarquable peinture de mœurs que l’auteur nous donne à travers Oblomov, ce qui lui permet aussi de dresser une critique acerbe de l’aristocratie russe au XIXè siècle.

BORIS PASTERNAK (1890-1960)

Le jeune Boris Pasternak, fils d’un professeur de peinture et d’une pianiste virtuose, côtoie dans la demeure de ses parents l’élite littéraire et artistique de son temps, un univers qui le sensibilise aux arts et aux lettres. D’abord attiré par la musique – il aurait aimé être compositeur comme Scriabine qu’il admire – il se tourne vers la poésie, fait des études de lettres et de philosophie. Après la révolution d’octobre il travaille dans des bibliothèques d’état, écrit des articles et des recueils de poésies (Jumeau dans les nuées, Par-dessus les barrières, Ma sœur, la vie). Il s’affirme comme l’un des premiers poètes de sa génération, se joint au petit groupe futuriste « La centrifugeuse » et, en 1917, il rencontre Maïakovski et Essenine. Puis, cherchant sa voie dans la prose, il publie ses premiers récits (Lettres à Toula, Le Trait d’Apelle, l’Enfance de Luvers). Influencé par Pouchkine il s’initie au roman en vers avec Spektorski, et passe de la poésie lyrique à la prose romanesque. Durant la Première Guerre mondiale, il enseigne et travaille dans une usine chimique de l’Oural, une expérience qui va lui permettre de constituer un terreau propice à son projet romanesque qui deviendra « Le Docteur Jivago ». Marié à une artiste peintre, il épouse en secondes noces Zinaïda Neuhaus avec qui il partagera une véritable passion : elle devient sa muse et il vit cette époque comme « une seconde naissance », titre de son recueil (1931).  Les lettres qu’il lui a écrites de 1930 à 1957, pour la convaincre de son amour, ont été publiées en français.

Entre 1930-1940, il traduit des œuvres de Shakespeare, Goethe, et Schiller, les écrivains non communistes sont persécutés (1932), et la création de « l’Union des écrivains soviétiques » (1932-1991), signifie protection du parti et de l’Etat. Si l’écrivain est valorisé il est cependant étroitement contrôlé. Boris Pasternak est tiraillé par l’asservissement qu’engendre cette reconnaissance officielle, tout cela lui pèse et il entre dans une dépression. Peu à peu il va cesser toute activité publique. A partir de 1936 ses positions anticonformistes et ses désillusions envers Staline, le mette à distance et en font un opposant silencieux. Dès 1932 il publie quelques pages de son projet de roman, abandonné ensuite à cause de l’intolérance de Staline et de la Seconde Guerre mondiale.

Puis dans l’euphorie de la victoire, Pasternak en reprend l’écriture en 1946 mais, suite aux nouvelles persécutions et arrestations, sa rédaction se poursuit en secret jusqu’à la mort de Staline (1953). Olga Ivinskaïa, son dernier amour, arrêtée en 1949 ne sera libérée qu’en 1953. Après la fureur provoquée dans son pays par la publication du Docteur Jivago et le prix Nobel de littérature qui lui est attribué (1958), le poète se retire avec sa femme à Peredelkino, un village d’écrivains constitué d’un ensemble de « datchas » à une trentaine de kilomètres de Moscou.  Usé par les épreuves il s’éteint en 1960 des suites d’un cancer. Si Boris Pasternak meurt en disgrâce, une foule d’admirateurs se presse à ses obsèques.

 Le Docteur Jivago (1957)

Le film culte de David Lean (1965) avec Julie Christie (Lara) et Omar Sharif (Docteur Jivago), a probablement eu plus de spectateurs que le livre n’a eu de lecteurs dans le monde ? Cette publication a ébranlé la vie de Boris Pasternak et, si beaucoup d’entre vous se souviennent de son refus du Prix Nobel, peut-être êtes-vous moins nombreux à vous souvenir de la terrible disgrâce qui s’en suivie. Ce drame mérite d’être conté ici. La publication du Docteur Jivago, refusée par les éditeurs soviétiques en 1954, paraît en Italie (en italien et en russe) en novembre 1957.  Son retentissement est immédiat : en Occident on y voit le défi d’un écrivain isolé face à un régime totalitaire, les premières critiques du système communiste émises par un écrivain soviétique, les souffrances d’un peuple emporté par la révolution. Le prix Nobel, une reconnaissance internationale, attise les foudres des hôtes du Kremlin. Boris Pasternak est exclu de l’Union des écrivains, privé de tout moyen d’existence légal et, sous la menace de l’exil, il se voit dans l’obligation de refuser le prix Nobel, pour stopper la machine infernale lancée contre lui. Il faudra attendre 1987 époque où, à la faveur de la « perestroïka », l’écrivain est réhabilité et ses œuvres à nouveau publiées. Au fil des années on parlera et commentera « l’affaire Pasternak ». Ce n’est qu’en 1994 que les lecteurs découvriront les arcanes de cette histoire. On comprendra également que : « les intrigues autour de la publication de l’ouvrage en Occident relèvent aussi d’une saine concurrence entre éditeurs, bien loin de la tragédie qui se joue de l’autre côté du rideau de fer. »

Ce roman célèbre tient à la fois d’une folle histoire d’amour et d’une épopée politique. Lara, fille d’un ingénieur belge, dont la mort précoce a fragilisé sa famille, est aimée par deux hommes, le poète et médecin Iouri Jivago et le révolutionnaire Pavel Antipov, son mari. Mobilisé comme médecin Iouri Jivago part sur le front et, blessé, il est soigné par une jeune femme qu’il reconnaît. C’est Lara, infirmière, engagée pour retrouver son mari disparu au cours d’un combat. Le docteur se souvient de l’avoir aperçue fortuitement en 1905, sans qu’elle le sache, et il se remémore la scène où, adolescente, elle avait été séduite par Komarovski, un grand avocat, amant et protecteur de sa mère. De retour à Moscou, le docteur Jivago se retire dans sa propriété de l’Oural où il a comme voisine Lara, désormais institutrice. Ils deviennent amants jusqu’au jour ou Iouri, réquisitionné par les partisans rouges, doit partir. Après un an de captivité il revient parmi les siens, mais ils ont émigré en France. Il vit auprès de Lara et de sa fille. Soudain Komarovski ressurgit  et veut emmener Lara prétextant qu’elle sera plus à l’abri. Jivago lui conseille d’accepter et lui promet de la rejoindre plus tard, une promesse qu’au fond de lui il ne souhaite pas.

Revenu vivre à Moscou, Iouri, taciturne, prend conscience de sa déchéance, de ses échecs. Il meurt en pleine rue d’un arrêt du cœur. Quinze ans plus tard, il revit au milieu de ses amis à travers le cahier de poèmes, réuni par leurs soins à titre posthume, qu’il a laissé.

NINA BERBEROVA (1901-1993)

Née à Saint-Pétersbourg, elle quitte la Russie en 1922 en compagnie du poète et critique Vladislav Khodassévitch (1886-1939), avec qui elle s’installe à Paris en 1925 jusqu’en 1950, année où elle émigre aux Etats-Unis. Elle enseigne à l’université de Yale, puis à Princeton. Parmi ses œuvres principales citons L’AccompagnatriceLe Laquais et la Putain (1937), Roquenval (1936), Astachev à Paris (1938), La Résurrection de Mozart (1940), Le Roseau révolté (1958), Le Mal noir (1959) Elle publie son autobiographie C’est moi qui souligne (1969), un récit sélectif des étapes de sa vie et de ses rencontres.  Elle y retrace notamment de vifs portraits d’écrivains de l’émigration russe rencontrés lors de sa vie parisienne. Tombée dans l’oubli, les éditions Actes Sud ont depuis 1985, largement contribué à la découverte de la femme de lettres. Quelques années plus tard, son œuvre est à nouveau publiée dans son pays natal.

Le roseau révolté (éd. Actes Sud, 1988) Trad. Luba Jurgenson

Ce court roman de Nina Berberova est le récit de la séparation de deux amants à l’aube la guerre en 1939. Einar, suédois, rentre en Suède, un pays neutre. Emma, reste à Paris où elle s’occupe d’un vieux savant, en espérant le retour de son bien-aimé. Il ne réapparaît pas, elle lui écrit des lettres qui lui reviennent. : « Depuis ma prime jeunesse, je pensais que chacun, en ce monde, a son no man’land, où il est son propre maître. Il y a l’existence apparente, et puis l’autre, inconnue de tous, qui nous appartient sans réserve. Cela ne veut pas dire que l’une est morale et l’autre pas, ou l’une permise, l’autre interdite (…) Tout se réduisait à trois questions. Était-il en vie ? Le verrais-je un jour ? M’aimait-il encore ? J’essayais d’empêcher ces pensées de saper ma vie, mon travail et mes relations avec les autres, qui n’étaient pas toujours simples. Cette lutte accaparait toutes les forces de mon âme. Au fond de moi, dans ma seconde existence, ces heures d’inquiétude, de désespoir et d’espérance demeuraient ma propriété secrète. J’étais, comme toujours, la seule maîtresse de mon no man’s land. »

A la mort du savant elle se rend en Suède, les deux anciens amants se retrouvent fortuitement mais Einar est marié…  Il l’aime encore et l’avoir retrouvé l’a fait souffrir davantage. Nina Berberova, connaît l’âme humaine et avec un immense talent elle sait traduire les sentiments et les tourments intérieurs.

YOURI NAGUIBINE (1920-1994)

Youri Naguibine est un écrivain et coscénariste des films Dersou Ouzala (1975) et Tchaïkovski (1970), son compositeur favori. La vie, l’œuvre et la surprenante relation amoureuse que le compositeur a eu avec sa bienfaitrice – une mécène invisible, une femme mystérieuse – lui ont inspiré un livre.

Il n’y a pas d’amour heureux (éd. La Manufacture, 1987)

La baronne Nadeja Von Meck, née en Russie, est mélomane et a une grande culture musicale. Mariée au baron Von Meck, elle met au monde onze enfants et à la mort de son mari elle se retrouve à la tête d’une fortune vertigineuse. Admiratrice de Piotr Tchaïkovski (1840-1893), cette femme éclairée va décider de lui ôter tout souci matériel, en lui versant une rente de 6000 roubles par an. Cependant, elle pose une étrange condition à son mécénat : ils ne devront jamais se rencontrer. Pendant quatorze ans la baronne va soutenir le compositeur – qui lui dédie sa quatrième symphonie – avec lequel elle entretient une volumineuse correspondance où ils se confient et où il lui écrit avec une certaine tendresse. Nadeja Von Meck sera également mécène de Nicolas Rubinstein et de Claude Debussy. Mais les choses se compliquent quand une rumeur discrète sur les tendances homosexuelles du compositeur, courent dans les couloirs. La baronne se pose des questions qui la fâche. Afin de démentir la rumeur, Tchaïkovski se marie en 1877 avec l’une de ses élèves, Antonina Miliukova, mais ce mariage est un douloureux échec. La baronne prétexte des difficultés financières et décide d’arrêter sa rente. Le compositeur lui répond courtoisement et affectueusement, ce mécénat sera relayé par celui de l’empereur. En 1893, le scandale de la révélation de ses mœurs est sur le point d’éclater : serait-ce la raison de sa mort (officiellement, le choléra), ou de son suicide, il aurait bu l’eau de la Neva à une époque d’épidémie. Quant à la baronne, elle meurt trois mois plus tard d’une tuberculose. Avait-t-elle aimé en secret le compositeur qui disait de sa musique qu’elle était « la confession de l’âme » ? Si ce livre est difficile à trouver (épuisé), vous pouvez aussi lire l’ouvrage qu’Henri Troyat a consacré à cette histoire.

 

NOUVELLE

IVAN TOURGUENIEV (1818-1883)

On a coutume de dire d’Ivan Tourgueniev qu’il est le plus européen des écrivains russes, sa vie, somme toute assez romanesque, ses voyages et son installation en France y ont surement contribué. Il passe son enfance dans la propriété familiale de Spasskoïe, fait des études qui le plongent dans l’idéalisme allemand, a un coup de foudre à 25 ans pour la cantatrice française Pauline Viardot, qu’il suivra à travers l’Europe et qu’il aimera jusqu’à la fin de sa vie. Son premier livre Mémoires d’un chasseur (1852), célèbre pour la beauté de ses évocations de la nature et la peinture sans détour des conditions de vie des moujiks, contribuera à l’abolition du servage en Russie. Son théâtre, où il développe une satire féroce de la noblesse terrienne, sera interdit par la censure.  Ami de Daudet, Maupassant, Mérimée, Zola – avec qui il participait aux fameuses « Soirées de Médan » – et surtout de Flaubert, Tourgueniev partage avec ces écrivains français la passion du style. Seul écrivain russe connu de son vivant en Europe, il est curieusement aujourd’hui l’un grands auteurs russes du XIXe siècle le moins lu. Sachez que vous pouvez connaître plus intimement cet auteur majeur, en vous rendant à Bougival, proche de Paris. Vous y découvrirez l’insolite « datcha » que le romancier avait fait construire à quelques mètres de la demeure des Viardot. Cette maison d’écrivain, riche en souvenirs, menacée de fermeture voire de destruction dans les années 2000, a heureusement été sauvée.

Premier amour, 1860

Cette nouvelle romantique, probablement la plus célèbre de l’écrivain, se déroule en 1833. Un soir, trois amis évoquent leur premier amour. Le jeune Vladimir Pétrovitch, âgé de seize ans à peine, se souvient de ses premiers émois un certain été : « je n’étais plus simplement un jeune garçon, j’étais amoureux. » Il s’éprend de Zanïada – sa voisine, une très jolie princesse un peu plus âgée que lui. Le lecteur suit ses premières émotions, celle d’un amour pure et platonique. Puis peu à peu Zanïada se montre plus distante envers ses prétendants et il tente en vain de découvrir quel homme peut la détourner ainsi : « délicieuse, pure et volontaire, elle s’amuse de ses soupirants jusqu’au jour où elle-même succombe à l’amour » Vladimir épie la jeune femme à ses dépens : Il soupçonne d’avoir pour rival son propre père… Pour lui, ce sera une blessure profonde. Dans ce récit Tourgueniev prend le parti de présenter l’amour comme une maladie, une suite de désillusions qui troublent les hommes quel que soit leur âge ou leur caractère.

Les eaux printanières, 1871 (éd. J’ai lu, 2000) Trad. Jacques Imbert

Sanine, aujourd’hui âgé, se souvient de sa jeunesse, de l’époque où à Francfort il a rencontré Gemma dans la confiserie de sa mère. Belle et brune il en tombe follement amoureux et la jeune fille en est troublée. Elle est cependant fiancée, mais Sanine a la conviction qu’aucun obstacle ne peut se mettre sur son chemin. Il est prêt à tout pour la conquérir, il se bat en duel, arrive à écarter le prétendant et à demander sa main. Décidé à vendre ses terres pour offrir tout le confort possible à sa bien-aimée, il part pour Weisbaden où il espère traiter rapidement ses affaires. Il y rencontre la femme de l’un de ses amis qui, fortunée et en villégiature, s’éprend de lui. Il ne reviendra jamais à Francfort, mais va-t-il pour autant trouvé le bonheur ? Tourgueniev dit à propos de ce roman : « Je l’ai vécu ; c’est mon histoire elle-même et je l’ai par conséquent écrite sans aucun effort. »

IVAN BOUNINE (1870-1953)

Né en Russie Ivan Bounine est décédé à Paris où il s’était réfugié en 1920. Issu de la noblesse rurale il est très tôt attiré par la poésie et, en 1901, il obtient le Prix Pouchkine pour son recueil Les Feuilles mortes, qui lui assure la notoriété en Russie. Il écrit des nouvelles en prose puis de nombreux romans, mais c’est probablement à travers ses nouvelles comme Les Allées sombres qu’il est le plus connu aujourd’hui. A la révolution il émigre en France et revient à ses sujets de prédilection, l’amour, charnel et érotique, et la mort. En 1933, il est le premier écrivain russe à recevoir le prix Nobel, une reconnaissance internationale qui ne lui épargnera pas pour autant de mourir dans l’isolement à Paris en l953. Plongé durant de nombreuses années dans un injuste oubli, il a été réhabilité – notamment par l’académicien français, d’origine russe, Andreï Makine – un fervent bouninien, qui a écrit dans la préface des Allées sombres : « Le récit bouninien se lit tantôt comme le bilan existentiel d’une vie, tantôt comme l’évocation d’un seul instant dont l’intensité éblouit les personnages en les rendant à jamais différents du commun des mortels… Le lieu commun romanesque appelé amour est vécu dans une telle densité de perception que le réel en sort transfiguré » La vie d’Arséniev, un roman méconnu comme une bonne partie de son œuvre, est considéré par beaucoup comme l’un de ses chefs-d’œuvre.

L’Amour de Mitai ou Le Sacrement de l’amour (éd. Mercure de France, la bibliothèque étrangère, 2002) Trad. Anne Colley-Faucard

Ce récit, publié en 1925, conte l’histoire d’un premier amour malheureux : « il suffisait du moindre changement en Katia, pour que tout prît un autre tour à ses yeux. Or Katia était à nouveau tendre et passionnée, sans rien de feint cette fois, il le sentait avec cette infaillible perspicacité des natures jalouses ». C’est la jalousie, folle, obsessionnelle, morbide qui va empêcher la relation amoureuse entre Mitai, un étudiant à l’université de Moscou, et Katia, une jeune comédienne du Théâtre d’Art. Pour lui tout devient suspect, même quand Katia l’embrasse avec fougue, il s’interroge : « Comment avait-elle appris à embrasser ainsi ? » Katia exaspérée conseille à Mitai de partir à la campagne et lui dit : « Nous devons nous séparer provisoirement, faire le point. Tu as tellement maigri que ma mère est persuadée que tu as la phtisie. Je suis à bout ! »  Mitai part et il découvre un peu plus tard l’amour charnel dans une hutte avec une jeune paysanne. Cet écart de conduite le fait le souffrir, il ne cesse de penser à Katia. Il attend en vain une lettre d’elle jusqu’au jour où lui parvient une missive, mais ce n’est pas la lettre qu’il attendait. Le jeune homme ne se remet pas de ses amours malheureuses et choisit de quitter ce monde.

Les Allées sombres (1938-1944)

A propos de cet ouvrage Andreï Makine nous dit : « Les Allées sombres est un sommet de la prose poétique », et Jacques Watteau en parle en ces termes : « N’allez pas croire que Bounine soit un rêveur impénitent, un romantique ! Ses héros sont des hommes qui aiment les femmes charnellement, violemment, animalement, parfois jusqu’au viol. » Quant à Ivan Bounine il confie : « Ce livre est le meilleur que je n’aie jamais écrit. » Ce recueil présente trente-huit nouvelles, au dénouement tragique, mises en scène ou adaptées au cinéma. Un premier recueil de trente-huit nouvelles est publié à New York en 1943, puis à Paris en 1946. Si l’amour, la passion, la femme sont les inspirations principales de l’auteur, on sent aussi sa nostalgie de la Russie à travers sa poésie et sa description des paysages. Ces nouvelles sont les derniers textes de l’écrivain.

ANTON TCHEKHOV (1860-1904)

Gorki disait de ce grand écrivain russe : « Personne n’a compris avec autant de clairvoyance et de finesse le tragique des petits côtés de l’existence ». Fils d’un modeste marchand descendant de serfs, Anton Tchekhov s’est d’abord tourné vers la médecine puis il a trouvé sa voie dans la littérature. Il dira : « Je me sens mieux et plus content de savoir que j’ai deux professions : la médecine est ma femme légitime, la littérature ma maîtresse » Quand je me fatigue de l’une, je passe la nuit avec l’autre. »  Mais dès l’âge de vingt-quatre ans, il sait qu’il est malade. Il commence par publier des contes humoristiques avant de se faire connaître et de devenir l’un des meilleurs nouvellistes de son temps.

Après avoir voyagé il se fixe dans sa petite propriété de Mélikhovo, proche de Moscou, où il va écrire l’essentiel de son œuvre. Atteint de la tuberculose il est soigné en Crimée puis en Allemagne et en France. Le succès de sa pièce La Mouette, le conforte dans l’idée de poursuivre une œuvre de dramaturge et son succès se confirme avec L’oncle Vania, Trois sœurs et la Cerisaie. Tchekhov est encore aujourd’hui l’un des auteurs les plus joués dans le monde et son succès de dramaturge à occulter en partie son œuvre de nouvelliste. Il a laissé une œuvre immense : une correspondance de quatre mille cinq cents lettres, six cent trente-cinq nouvelles, ses notes de Sibérie, ses carnets, seize pièces de théâtre.

La dame au petit chien et autres nouvelles (éd. Gallimard,1999) Trad. Madeleine Durand, Edouard Parayre

Parmi ses nouvelles « La Dame au petit chien » est probablement la plus célèbre. Dans une station balnéaire de la Mer noire Anna, mariée, affiche sa solitude et se promène sur la plage en compagnie de son chien. Elle s’ennuie. Gourov, marié, la remarque, une amitié amoureuse les lie le temps d’une villégiature. Mais de retour à Moscou, Gouro est hanté par la dame au petit chien et il la rejoint dans une ville de province. Ces fugitives rencontres tournent à la passion. Leur vie insipide leur fait d’autant plus prendre conscience de la beauté de leur histoire, ils aimeraient croire que : « L’avenir sera nouveau, magnifique », mais chacun sait que cet amour est impossible, voué à l’échec. Rappelons qu’en Russie au XIXe siècle, l’adultère était considéré comme un crime. Souvent chez Tchekhov les personnages se projettent dans le futur, leur seul refuge, mais une réalité cruelle les rattrape. Anna Karénine, n’avait-elle pas appris à ses dépens, avec quelle dureté la société jugeait l’amour adultère ?

Un royaume de femmes, suivi de “de l’Amour” (éd. Gallimard, 2009) Trad. Edouard Parayre

Deux nouvelles où Tchekhov parle d’amour, de malentendus, d’espoirs, de rêves, de désillusions. Dans le Royaume des femmes, Anna Akimovna se retrouve jeune héritière d’une usine dont elle doit assurer la direction. Elle n’a que 25 ans et, jeune, jolie et riche cette vie de contrainte qui la propulse à la tête de l’usine, lui donne une responsabilité qui ne l’enchante guère. D’autant plus que, parmi ses ouvriers, elle a remarqué le beau Pimenov qui ne la laisse pas insensible. Elle aimerait suspendre le temps, se laisser à rêver… Tchekhov disait : « Une nouvelle qui n’a pas de femmes, c’est une machine sans vapeur. » Ses héroïnes sont le plus souvent des femmes à l’âme tourmentée, incomprises. Alors, pour fuir leur ennui, leur désenchantement, elles rêvent d’une autre vie, le plus souvent impossible.

Dans la seconde nouvelle Tchekhov décrit la passion, là aussi chimérique, d’un homme pour une femme mariée. Alekhine, profondément épris d’Anna, lui dit un adieu déchirant dans un train qui va l’éloigner pour toujours…

LUDMILLA OULITSKAIA

Née en 1943 dans l’Oural Ludmilla Oulitskaia a grandi à Moscou où après des études de biologie, elle s’est tournée vers la littérature. Auteur de plusieurs pièces de théâtres, ses ouvrages sont traduits en français et en 1996 elle a obtenu le Prix Médicis avec son roman Sonietchka.

Un si bel amour et autres nouvelles (éd. Gallimard 2002) Trad. Sophie Beneches

Un recueil de sept nouvelles où l’auteur explore toutes les facettes du sentiment amoureux depuis l’enfance jusqu’à l’âge mûre en passant par l’adolescence, le trouble des premiers émois, le vertige de la passion, sans pouvoir expliquer pour autant comment naît le sentiment amoureux.

 

CONTE, LEGENDE

 

Les premières manifestations du génie littéraire russe viennent de l’art populaire oral « les bylines », qui fleurissent du XIe au XIIIe siècles, mais aussi des contes et des chansons. Les bylines – de courtes compositions épiques en vers relatant les exploits de héros historiques – se situent entre fable et réalité.

ALEXANDRE POUCHKINE

Pouchkine nourrira son œuvre des contes et des légendes.

Rousslan et Ludmilla (éd. Circé,1999) Trad. Léonid et Nata Minor

S’agit-il d’un roman d’amour, d’une chanson de geste, d’un conte, d’une légende, d’une épopée fantastique ? L’histoire se déroule autour de l’an 1000. Le Grand-Duc de Kiev, Vladimir-Soleil, marie sa fille Ludmilla au chevalier Rousslan. A la foule joyeuse se mêlent les prétendants éconduits. Quand les jeunes mariés se retirent dans leur intimité, au moment même où va s’accomplir leur union charnelle, Ludmilla est enlevée par une force mystérieuse, invisible :

Dans la haute salle d’apparat

Au milieu de ses fils superbes,

Vladimir-Soleil festoyait ;

Sa fille cadette, il mariait

Au bel et valeureux Rousslan

Et grisé de miel odorant

Levait sa coupe à leur santé…

…Mais épuisé par tant d’émois

Rousslan, ne mange, ni ne boit,

N’a d’yeux que pour la bien-aimée…

… Finie la fête, on quitte les bancs

Les hôtes s’égaillent en groupes bruyants

Et tous regardent les époux :

La mariée à les yeux baissés

Comme si soudain le cœur manquait

Et lui, rayonne d’un bonheur fou…

…Voici que vers le grand lit nuptial

On accompagne la mariée

Les gages de l’amour se préparent ;

Et tombent colliers et habits

Sur la haute lisse des tapis…

Entendez-vous les chuchotements,

Le bruit délicieux des baisers

Les plaintes et les derniers instants

De la pudeur qui va céder ?

L’époux exulte, pressent sa joie…

Enfin…Enfin et comme il va…

Soudain, l’orage… L’éclair a lui…

La nuit vacille tout autour…

Une voix étrange a résonné.

Quelqu’un dans ce brouillard de poix

Tel une trombe s’est élevé…

Et de nouveau, tout est sans vie.

Tremblant le jeune époux bondit

Sur son visage, la sueur est froide,

Il tend le bras et sa main roide

Ne peut étreindre que la nuit.

La fiancée s’est évanouie !

Quelle force étrange l’a enlevée

Rousslan questionne l’obscurité :

Pas de réponse : tout se tait…

Dès lors tout se précipite. Rousslan et ses rivaux sellent sur le champ leurs chevaux, se lancent à la recherche de Ludmilla, chevauchent à travers des paysages étranges. Rousslan, arrive dans une grotte et se dirige vers un vieux sage, d’origine finnoise, qui lui dit :

C’est Tchernomor, le vil sorcier

Des jeunes beautés le ravisseur,

Seigneur des monts enténébrés.

Jamais encore en sa demeure

Un seul regard n’a pénétré.

C’est donc Tchernomor, un nain sénile, qui retient la belle captive. Le récit est jalonné de batailles relatant l’histoire de la Russie. Librement, l’auteur mêle les mythes de l’ancienne Russie aux mythes nordiques et gaéliques. Ceux-là même que Pouchkine avait entendu dans sa petite enfance, conter par sa nourrice.

 

ALEXANDRE AFANASSIEV (1826-1871)

Les contes populaires russes (éd. Maisonneuve et Larose, 1991) Lise Gruel-Apert

Les « Contes populaires russes » d’Afanassiév, éditeur de contes populaires authentiques, sont l’un des recueils de contes les plus importants de l’Europe du XIXe siècle. Remarquables par la richesse et la variété des textes (près de six cent dans l’édition complète), cette publication a été considérée, de par son envergure, comme une première mondiale. En effet, aujourd’hui ce serait impossible de la réaliser.  Ces contes, relevés dans la tradition orale de la Russie encore à demi analphabète du milieu du XIXe siècle, représentent une somme exceptionnelle d’archives. Tous les grands contes-types y figurent. Dépassant l’expérience des frères Grimm, Afanassiév est plutôt considéré comme un collectionneur qu’un rédacteur, d’où la modernité de son ouvrage. Le deuxième tome contient l’essentiel des contes merveilleux où des êtres fantastiques évoluent dans un autre monde. L’influence de ces contes sur la littérature et la musique russes sont indéniables.

La légende de Piotr et Fevronia

Voilà un curieux conte, un Roméo et Juliette russe, dont les héros, Piotr et Fevronia, vivent au XIIIe siècle au royaume de Mourom. Le prince Piotr, gravement blessé, empoisonné par le sorcier, fait appel à Fevronia, une jeune paysanne au don de guérisseuse, à qui il promet de l’épouser si elle réussit à le guérir. Sauvé, Piotr rompt sa promesse et, seule une rechute, le décide à l’épouser. Piotr va choisir – face aux nobles qui s’opposent à sa montée sur le trône : « Tu dois te séparer de ta femme ou quitter Mourom, car ta femme, par sa condition, est la honte de la noblesse. » – de quitter Mourom, de vivre dans la pauvreté avec son épouse et de renoncer au trône. Le mythe veut qu’ensuite les époux, morts le même jour un certain 8 juillet, aient été enterrés dans deux monastères différents. Mais l’amour triomphant ils se seraient retrouvés le lendemain dans la même tombe. L’histoire ne dit pas s’ils ont eu beaucoup d’enfants… Enterrés dans l’église de la Nativité de la Vierge à Mourom, leurs reliques ont été ensuite transférées dans le couvent de la Sainte-Trinité de Mourom où on les vénèrent encore aujourd’hui.

Au fil du temps saint Piotr (Pierre) et sainte Fevronia, ayant vécu leur vie terrestre sans jamais se séparer, sont devenus pour l’église orthodoxe russe les symboles de l’amour et de la fidélité conjugale.  Et la tradition perdure ! En 2008 Mourom, située à 300km de Moscou, a apparemment été élevée au rang de capitale du romantisme ! La Russie aurait-elle ainsi sa Vérone ? Le choix de cette fête n’est pas simplement religieux, il aurait aussi pour objectif d’encourager la vie de famille et de stimuler le taux de natalité en Russie, pays qui continue à subir un déclin démographique.

 POÉSIE

Katia Granoff (1895-1989), poétesse française d’origine russe et fondatrice d’une galerie d’art de renom, l’annonce dans son anthologie : « la poésie russe, essentiellement humaine, a été écrite avec le sang des poètes qui, pour la plupart ont eu un destin tragique. » On pourrait dire la même chose pour un bon nombre de romanciers russes. De plus, nombreux sont ceux qui, parmi ces poètes, sont morts jeunes. Pouchkine (trente-sept ans) et Lermontov (vingt-sept ans) périssent à l’occasion de duels qui ressemblent plutôt à des guet-apens ; Odoiëvski meurt à son retour de bagne en Sibérie (trente-sept ans), Koltzov disparaît à trente-trois ans ; d’autres  poètes se suicident comme Feth-Chinchine, Maïakovski (trente-six ans), Essenine (trente ans), Marina Tsvetaïeva (quarante-neuf ans), meurent en déportation comme Mandelstam, ou sont fusillés tels que Riléev (trente et un ans) et Goumilev (trente-cinq ans).

Anthologie de la poésie russe (édition Katia Granoff, Poésie Gallimard, 1993)

 

MICHEL LER   MONTOV (1814-1841)

Michel Lermontov, orphelin de mère à trois ans, est élevé par sa grand-mère qu’il adore. Ils vivent dans sa belle demeure de Tarkhan où il reçoit une éducation brillante. Très vite il montre son attirance pour les disciplines artistiques, écrit des vers, peint à l’aquarelle et joue du violon. Après des études à Moscou il tente en vain d’intégrer l’université de Saint- Pétersbourg. Il entre à l’école des Cadets, mène une vie mondaine et dissipée, mais son âme romantique reste insatisfaite. La mort de Pouchkine provoque un bouleversement dans sa vie, il se fixe pour objectif d’être le continuateur du poète et de le venger. Il prend ses distances avec le monde aristocratique à laquelle il semble jeter à la face son poème La Mort du poète. Ce poème lui vaut son premier exil (six mois) dans le Caucase où il se lie avec les poètes décembristes, une période pendant laquelle il écrit Le Démon et le Novice. Quand plus tard il s’installe à Piatigorsk, une querelle bénigne l’oppose à Martinov, son camarade d’école des Cadets. Cet incident, attisé par un souffle haineux, conduit Martinov à l’irréparable : il tue Lermontov, âgé de 27 ans. Les spécialistes s’accordent pour dire que c’est avec l’œuvre de Lermontov, que le romantisme russe atteint son apogée.

Je languis, Je suis triste (1837)

Je languis… Je suis triste… A quoi tendre la main

Quand l’âme est en proie à l’orage ?

Désirer ! A quoi bon ces désirs toujours vains

Tandis que s’enfuit le bel âge ?

L’amour ? Aimer qui donc ? Pour un si bref instant ?

Aimer toujours est impossible.

La douleur et la joie en nos cœurs inconstants

Vite deviennent invisibles…

Les passions ? Leur mal disparaît tôt ou tard,

Quand la raison prend la parole ;

Et lorsque sur la vie, on jette un froid regard

Quelle farce futile et folle… !

 

Le démon (Conte oriental, 1838-1841) extraits de ce conte considéré par beaucoup comme le chef-d’œuvre de Lermontov.

PARTIE 1

I

Déchu, morose, solitaire,

A jamais de l’Eden exclu

Le démon survolait la terre

Songeant à des temps révolus :

Quand il vivait, pur chérubin,

Dans la clarté resplendissante,

Et quand la comète filante

Lui souriait sur son chemin ;

Quand il pénétrait les arcanes

Du savoir et, dans le brouillard,

Suivait au ciel les caravanes

Des étoiles d’un long regard ;

Quand, ignorant le mal, le doute,

Lui, fils aîné du Créateur,

Il ne rencontrait sur sa route

Que la foi, l’amour, le bonheur

……………………………………….

Intolérables à subir

Passaient regrets et souvenirs…

IV

Il voit plus loin, comme un tapis,

La Géorgie et ses vallées

Mais ces merveilles dévoilées

Ne suscitent que son dépit

……………………………………….

XV

(Le Démon séduit Tamara par ses chants, alors qu’elle pleure la mort de son fiancé)

Enfant, tu pleures sur ton sort

En vain tes larmes versées,

Leur vivifiante rosée

Ne saurait ranimer un mort.

Du ciel il ne peut t’entendre

Ni voir tes larmes, ta douleur

Dns une clarté pure et tendre

Son esprit vit dans les hauteurs.

Que sont donc tes rêves modestes

Et tes sanglots fastidieux

Pour l’hôte des sphères célestes,

Bercé de chants mélodieux !

Non, non, cher ange de la terre,

Le triste destin d’un mortel

Ne vaut pas cette peine amère,

Ni tes regrets, ni tes appels.

…………………………………..

Alors, vers toi volant encore,

Je saurai sur tes cils soyeux

Souffler des rêves merveilleux

En m’attardant jusqu’à l’aurore.

………………………………..

(Troublée par le Démon, Tamara cherche refuge au couvent, mais le Démon l’y rejoint)

PARTIE II

Tamara

Oh ! tes paroles me harcèlent

Viens-tu du ciel ou de l’enfer ?

Que me veux-tu ?

Le Démon

Que tu es belle

Tamara

Qui donc es-tu, sois clair !

Le Démon

Je suis celui qui te parlait

La nuit dans le profond silence

Celui qui te troublait,

Dont tu comprenais la souffrance,

De qui l’image te hantait…

Je suis celui qui n’a jamais

Pu nulle part se faire aimer !

Fléau de mes tristes esclaves,

Au Bien j’oppose mes entraves.

Mais fier adversaire des cieux,

A tes pieds je tombe anxieux,

Mon amour pour toi je confesse

Je te dis toute ma douleur,

Je verse devant toi mes pleurs,

Et, suppliant, à toi m’adresse.

D’un seul mot rompant mes liens,

Tu peux me rendre au ciel, au Bien !

………………………………………..

Tamara

Va-t’en, va-t’en esprit perfide,

Je ne te crois pas, Ennemi !…

Car tes discours sont pénétrés

De flamme et de venin secrets…

Enfin, dis-moi pourquoi tu m’aimes ?

Le Démon

Pourquoi je t’aime, ô ma beauté,

Hélas je ne le sais pas moi-même,

Mais mon passé je l’ai quitté,

Trouvant mon enfer et mes cieux

Désormais au fond de tes yeux…

Oh ! mon amour n’est pas mortel,

Tu n’aimes pas ainsi que moi,

Car ma puissance et mon émoi,

Me ressemblant, sont éternels.

…………………………………….

Tamara

Qui que tu sois, ami lointain,

Involontairement j’écoute

L’aveu d’un destin surhumain

De tes épreuves, de tes doutes.

Ton but est-il de m’égarer

Au prix de ces discours perfides ?

Mais où serait pour toi l’attrait

De perdre une âme trop candide ?

Le Démon

Ô Tamara, vois, j’abandonne

Mon vaste empire tout entier ;

Seul, je saurai t’apprécier,

J’attends l’amour comme une aumône ;

Je te promets pour un instant

L’éternité… Je suis constant ;

En amour, en mal je suis grand !

Je suis le fils de l’air,

T’emportant au-delà des astres,

Je te ferai sur l’univers

Régner parmi grandeurs et fastes.

……………………………………………………

 

VASSILI JOUKOVSKI (1783-1852)

Ce poète est considéré comme le fondateur du romantisme russe. Les spécialistes en poésie considèrent l’année 1802, où le poète a traduit l’Elégie écrite dans un cimetière campagnard de Thomas Gray, comme l’année de naissance de la poésie lyrique russe. Plus tard paraissent ses adaptations libres des ballades allemandes et anglaises, des travaux de traductions étrangères qui vont favoriser l’essor du romantisme russe. Si Joukovski s’est imposé comme un maître de la traduction poétique, nombreux sont les poètes russes qui le saluent pour les avoir : « libérés du joug de la poésie française ». Mais ils ne veulent pas pour autant qu’il leur impose comme modèle la poésie allemande ou anglaise : ils revendiquent l’importance d’avoir une poésie nationale.

 Pour elle (1810-1811)

Quel nom peut-être le tien ?

L’art des mortels est sans force

Pour exprimer ta beauté.

Point de lyre pour toi !

Les Chants ? une rumeur tardive

Et fausse à ton sujet.

S’ils entendaient battre mon cœur,

Tout sentiment que j’éprouve

Serait un hymne pour toi.

Pure et sainte beauté !

Je porte en mon cœur l’image

De ta vie, en secret.

Je ne puis qu’aimer.

Dire si tu fus aimée

Seule peut l’éternité.

Trad. Satho Tchimichkian

 

KONSTANTIN BATIOUCHKOV (1787-1855)

Ancien officier volontaire en 1807, il participe aux guerres contre la Suède et la France puis à la retraite il publie son premier recueil de poèmes en 1817 mais à partir de 1822 il sombre dans la folie. Considéré comme le prédécesseur de Pouchkine, en tant que poète de la réalité historique, il a joué un rôle similaire à celui d’André Chénier en France dont il a traduit les poèmes.

L’espérance

… Cachons à tout jamais au jaloux taciturne

L’ardente passion et les tendres discours.

Comme est doux le baiser au silence nocturne,

Comme est doux le plaisir des secrètes amours…

Trad. André Markowicz

 

ALEXANDRE POUCHKINE (1799-1837)

La poésie russe est d’une grande richesse et parmi les poètes Pouchkine reste inclassable. Au XXe siècle, l’aura qui émane de ce poète légende semble agacer ceux qui s’insurgent contre les idoles classiques. Maïakovski, défend Pouchkine avec véhémence, Marina Tsvetaëva écrit un essai Mon Pouchkine, Alexandre Blok lui consacre son testament littéraire. Il s’interroge : « qu’est-ce qu’un poète ? Est- ce un homme qui écrit des vers ? Certes pas.  Un homme n’est pas poète parce qu’il écrit des vers ; mais un homme écrit des vers, autrement dit, met en harmonie les paroles et les sons parce qu’il est lui-même fils de l’harmonie, parce qu’il est poète. » Pour Blok, la poésie de Pouchkine représente l’harmonie, le cosmos, la musique universelle. Dans les années 1830, Pouchkine traverse une époque de grand désarroi, elle correspond pourtant à sa pleine maturité littéraire.  De retour dans la propriété maternelle de Mikhaïlovskoïe, il revient sur son passé où il a trouvé dans la poésie « sa harpe d’or » :

« Ma jeunesse inexpérimentée se perdait

en expériences stériles et mon cœur

débordait de sentiments tumultueux,

de haine, d’instincts de vengeance.

Mais alors la sainte providence me prit

sous son mystérieux bouclier

et la poésie, ange consolateur,

m’a sauvé ; elle m’a ressuscité. »

Le Talisman (éd. L’Age d’Homme, 1988) choix de poésies lyriques adaptées par Claude Ernoult, édition bilingue

A l’étrangère (1822)

Avec des mots que tu ne peux comprendre

J’écris ces vers de séparation.

Dans le plaisir, pourtant, de se méprendre,

Je te demande un peu d’attention :

Jusques à quand mourrai-je de tristesse

N’existant plus quand je suis loin de toi ?

De t’adorer, je n’aurai pas de cesse,

Toi seule, toi, amie, en mon émoi.

Les yeux tournés vers de nouveaux visages,

Crois en mon cœur, en mon cœur seulement,

Comme tu crus en lui auparavant,

Sans pressentir le feu qui le ravage.

 

La nuit (1825)

Ma voix est langoureuse et douce en ta présence

Et tard, de la nuit noire elle rompt le silence.

Une triste bougie éclaire mon chevet

Et mes vers murmurés, confondus en un jet,

Coulent, ruisseaux d’amour qui pleins de toi s’irisent.

Dans l’ombre devant moi, je vois tes yeux qui luisent

Et je vois leur sourire et j’entends une voix :

Je t’aime, ami, je t’aime et je suis toute à toi.

 

Adieu (1830)

J’ose en pensée une caresse

Ultime à ton corps adoré,

Un rêve qui du cœur renaisse.

Avec tendresse, avec tristesse,

J’évoque notre amour brisé.

Passent en changeant nos années

Changeant tout, nous changeant aussi.

Je t’aperçois déjà voilée

D’une sépulcrale livrée

Pour toi la mort m’a déjà pris.

Reçois donc de loin le message

D’adieu dont mon cœur te fait don,

Comme déjà dans ton veuvage,

Comme une étreinte que partagent

Deux amis devant la prison.

 

Poème, sans titre (Trad. Claude Ernoult, Anthologie poésie russe, éd. Gallimard)

Ah ! non ! Je n’aime pas les plaisirs agités,

La folle frénésie et les sens exaltés

Et les gémissements de la jeune baccante

Quand son corps sinueux qui sur le mien serpente,

Et des baisers cruels, ses caresses sans frein

Pressent sur mon désir pour en hâter la fin.

C’est toi que je préfère, ô ma paisible amante

Que tu me rends heureux et que tu me tourmentes

Quand ma prière enfin ayant raison de toi,

Tendre mais sans ardeur tu te donnes à moi,

Quand tu n’écoutes rien et ne réponds qu’à peine,

Froide dans ta pudeur, au transport qui m’entraîne,

T’animant toutefois un peu plus chaque instant,

Partageant pour finir, malgré toi mon élan !

 

OSSIP MANDELSTAM (1891-1938)

Fils d’un commerçant juif, il étudie à Saint-Pétersbourg et voyages à l’étranger. Membre du cercle des acméistes dès 1910, il écrit un article qui pose les bases théoriques de cette nouvelle école. Il publie deux recueils La pierre (1913) et Tristia (1923), le dernier en 1928. A partir de cette date et jusqu’en 1973, rien n’a été publié de ce poète. Poursuivi, arrêté, exilé puis de nouveau arrêté il est mort dans un camp de concentration situé près de Vladivostok. Ses poèmes écrits en exil ont été regroupés sous le nom de Cahiers de Voronèje.

… (1)

Prends pour ta joie – c’est le vœu des abeilles

De Perséphone – au creux de mes deux paumes

Un peu de miel, un peu de lumière.

Comment délier la barque à la dérive,

Entendre l’ombre en souliers de fourrure,

Vaincre la peur en cette vie dormante ?

Seuls à présent les baisers nous demeurent,

Velus, telles des abeilles minuscules

Mourant hors de la ruche, et qui murmurent

Dans les fourrés de la nuit transparente

Le bois dormant du Taygète est leur terre

Leur pain le temps, la luzerne et la menthe

Or pour joie prends mon présent sauvage

Le collier humble et sec d’abeilles mortes

Qui ont leur miel en soleil transformé.

Trad Michel Aucouturier (Anthologie poésie russe, éd. Gallimard)

(2)

Prends dans mes paumes, pour ta joie

Un peu de soleil et de miel,

Les abeilles de Perséphone nous l’enjoignent.

On ne peut détacher la barque non amarrée,

Ni entendre l’ombre chaussée de fourrure

Ni vaincre, dans la vie épaisse, la peur.

Il ne nous reste plus que ces baisers

Velus, comme les petites abeilles

Qui meurent à la porte de la ruche.

Elles bruissent dans les fourrés limpides de la nuit

Leur patrie est l’épaisse forêt du Taygète

Leur aliment : le temps, la bourrache, la menthe.

Prends pour ta joie mon sauvage présent,

Ce pauvre collier sec d’abeilles mortes

Qui ont transformé le miel en soleil.

Trad. Philippe Jaccottet (Anthologie poésie russe, éd. Gallimard)

 

VLADIMIR MAÏAKOWSKI (1893-1930)

Poète, dramaturge, mais aussi – « agitateur et propagandiste », directeur de revues, dessinateur d’affiches, scénariste, acteur, organisateur d’expositions – Maïakovski meurt jeune, mais reconnu dès 1915. Il a eu une jeunesse difficile, après la mort de son père, garde-forestier, sa mère part vivre avec ses trois enfants à Moscou où ils connaissent une vie misérable. Il interrompt ses études et se rapproche de la bohème moscovite. A 24 ans Vladimir s’affirme comme une figure majeure du futurisme russe (premier poète qui aurait utilisé le terme futuriste) : « école poétique d’avant-garde liée aux nouveaux courants de la peinture – surtout au cubisme –  qui a entrepris de bousculer le goût du public par une attitude délibérément provocatrice et scandaleuse » (Claude Frioux). Il participe très tôt, dans la clandestinité bolchevique, à des activités politiques et il est arrêté trois fois pour conspiration.  En 1913, il rencontre Elsa Kagan (future Elsa Triolet), elle n’a que 17 ans et devient sa maîtresse. Mais deux ans plus tard il fait la connaissance de Lili Brik, la sœur aînée d’Elsa, dont il tombe éperdument amoureux. Une passion tumultueuse, il lui écrira et lui dédiera sa vie durant ses plus belles poésies et lui adressera une volumineuse correspondance (lettres à Lili Brick, éd. Gallimard). Le poète voyage (New York, Londres, Paris, Mexico), mais il entre dans une profonde dépression causée par sa position de partisan (il est favorable à la révolution d’Octobre 1917), sa déchirure sentimentale, sa voix de révolutionnaire, son combat, son âme tourmentée. Tout lui semble probablement vain et lui qui, par défi joue aussi à la roulette russe, se tire une balle dans le cœur. Il a laissé ce mot en guise d’épitaphe « Le canot de l’amour s’est fracassé contre la vie (courante). Comme on dit, l’incident est clos. Avec vous, nous sommes quittes. N’accusez personne de ma mort. Le défunt a horreur des cancans. Au diable les douleurs, les angoisses et les torts réciproques !… Soyez Heureux ! ».

J’aime Moi aussi

Les flottes, elles, convergent vers les ports

Le train, lui, fonce vers la gare.

Et moi, encore plus fort, vers toi

–  Je t’aime ! –

Je suis penché et entrainé.

Le chevalier avare de Pouchkine descend

Admirer ou brasser son caveau.

C’est ainsi que moi

Je reviens vers toi, mon aimée.

Pour moi, c’est mon cœur,

C’est lui que j’admire.

On est heureux de revenir chez soi

On gratte sur soi

La boue, on se rase, on se lave.

Ainsi moi, revenant vers toi,

N’est-ce-pas

Chez moi que je vais ?

Le giron terrestre recueille les enfants de la terre.

Nous revenons à notre but final.

Ainsi moi

Vers toi

Je suis attiré irrésistiblement.

A peine sommes-nous séparés

À peine sommes-nous hors de vue.

 

La flûte des vertèbres

Ce poème écrit en 1915, qui avait pour premier titre « Vers pour elle », s’adresse à Lili Brik, (1891-1978), sœur cadette d’Elsa Triolet, épouse en secondes noces de Louis Aragon. La flûte des vertèbres est un grand poème d’amour, traversé par l’angoisse du poète qui ne sait comment vivre sa relation avec une femme qui l’aime mais est l’épouse d’un autre.

Prologue

A toutes celles

Qui séduisent ou ont séduit, Icônes préservées dans la grotte de l’âme,

comme une coupe de vin pour le toast, à table,

je lève mon crâne plein de poèmes.

De plus souvent, je me demande –

si je ne ferais pas mieux de poser

d’une balle un point final à ma vie.

Aujourd’hui, je donne, à tout hasard, mon concert d’adieu.

Mémoire ! Rassemble dans la salle du cerveau

le groupe innombrable des bien-aimées.

D’un œil à l’autre verse le rire.

Que les noces d’antan rehaussent la nuit.

Que la joie verse d’un corps à l‘autre

et que nul ne puisse oublier cette nuit.

Je vais maintenant jouer de la flûte sur mes propres vertèbres.

 

MARINA TSVETAIEVA (1892-1941)

Anna Akhmatova et Marina Tsvetaïeva, deux figures majeures de la poésie russe du XXe siècle, appartiennent à cette génération d’artistes sacrifiée.  « Danseuse de l’âme », ainsi se nommait-t-elle, Marina Tsvetaïeva, fille du fondateur du musée des Beaux-arts de Moscou (l’actuel musée Pouchkine), reçoit une éducation cosmopolite et raffinée. Trés tôt elle écrit des poèmes, parle le français et l’allemand, vit en Italie et en Suisse et s’installe à Moscou où elle commence à publier – elle n’a que 19 ans – L’album du soir. En 1910, en vacances en Crimée elle rencontre Sergueï Efron, qui deviendra son mari. Officier de l’Armée blanche, vaincue, elle va perdre sa trace, et reste seule avec leurs deux filles à Moscou où sévit une terrible famine. Elle y sera bloquée pendant cinq ans, sa fille Irina meurt de faim. A propos de sa poésie elle écrit en 1913 :

« Éparpillés dans des librairies, gris de poussière,

Ni lus, ni cherchés, ni ouverts, ni vendus,
Mes poèmes seront dégustés comme les vins les plus rares

Quand ils seront vieux. »

Apprenant par Boris Pasternak que son mari est en vie et refugié à Prague, elle part le rejoindre et va vivre un douloureux exil de dix-sept ans entre Berlin, Prague jusqu’en 1925, puis Paris jusqu’en 1939. Très isolée, difficilement admise et reconnue parmi les écrivains russes émigrés peu sensible à sa poésie, elle se rapproche de son ami Boris Pasternak – qui disait d’elle : « Tsvetaieva était une femme à l’âme masculine, résolue, guerrière, indomptable. Dans la vie comme dans la création, elle a poursuivi impétueusement et avec lucidité, tel un rapace, la perfection et la précision, poursuite dans laquelle elle a atteint un sommet et nous a tous dépassés » -, de Rainer Maria Rilke qui lui a dédié une Elégie. Durant son séjour en France elle écrit Le poème de l’escalier, un très long texte considéré comme sa première œuvre majeure. Quand elle rentre dans son pays natal en 1939, elle est loin d’imaginer ce qui l’attend. Tout citoyen russe, dans l’URSS de Staline, ayant vécu à l’étranger est considéré comme suspect. La sœur de Marina a été arrêtée peu avant son retour, son mari, accusé d’espionnage, est fusillé en 1941 et sa fille Alia est arrêtée, déportée, elle passera huit ans en prison. Marina Tsvetaïeva, privée du droit de publier, est épuisée par une vie si douloureuse : elle se pend le 31 août 1941.  Son fils disparaîtra pendant la guerre et c’est grâce à sa fille revenue des camps que nous connaissons son œuvre.

 

Les poésies d’amour (éd. Circé, 2015) Trad. Henri Abril

Ses recueils de poésie se succèdent La Lanterne magique, Les Verstes. Elle écrit ses cycles poétiques les plus célèbres La Sybille, Les Arbres, Après la Russie. La souffrance de la séparation, le désir d’amour absolu lui font dire : « Chaque vers est enfant de l’amour », et quand en 1919 elle écrit : « Puisque j’aurai pu cesser d’écrire des poèmes, je pourrai aussi un beau jour cesser d’aimer. Alors, je mourrai. Et ce sera bien sûr un suicide, car mon désir d’amour est tout entier désir de mort », ses mots sonnent et donnent une vision prémonitoire de sa vie et de sa mort.

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