sevgi

Ouzbékistan

* "amour" en Ouzbek

" Je t'aime "
Quelques précisions sur cette langue

L’ouzbek ou ouzbèque est une langue appartenant au groupe des langues turques de la famille des langues altaïques, parlée par plus de 19 millions de personnes. Il est surtout utilisé en Asie centrale, principalement en Ouzbékistan (env. 17 millions de locuteurs sur 20 millions d’Ouzbeks ethniques et 26 millions d’Ouzbékistanais), où il est la langue officielle, au Tadjikistan (873 000), au Kirghizstan (550 000), au Turkménistan (400 000) et en Afghanistan. Il est également parlé en Chine (province ouïgoure de Xinjiang) (393 000). L’ouzbek moderne puise ses origines dans la langue turque (turcique) tchaghataï (ou djaghataï) qui fut aussi la source de la langue ouïghoure.

Quelques références littéraires et cinématographiques

OUZBEKISTAN

 

CINEMA

Les premières projections cinématographiques en Ouzbékistan, l’une des républiques de l’ex-URSS, ont lieu dès 1897 et au début du XXè siècle ce pays développe une industrie du cinéma de premier plan en Asie centrale. Il ne tarde pas à devenir un outil de propagande à partir des années 1920, moment ou le pouvoir soviétique s’installe dans la région. Ainsi a-t-on l’habitude de considérer que le cinéma ouzbek se divise en deux grandes périodes : le cinéma de l’Ouzbékistan soviétique (1924-1991) et le cinéma de l’Ouzbékistan depuis l‘indépendance en 1991. La première période est aussi celle de croisées des cultures, la région devenant une terre d’accueil pour de nombreux citoyens soviétiques. Le renouveau du cinéma en Asie centrale intervient à partir des années 1960. L’un des cinéastes ouzbeks le plus important de cette période est Ali Khamraev qui signe son premier long métrage Petites Histoires des enfants qui, suivi notamment de Où es-tu ma Zulfiya ? Il s’impose réellement avec le Commissaire extraordinaire (1970), Sans peur (1971), la Septième Balle (1972), L’homme poursuit les oiseaux (1975), Tryptique (1978), le Jardin des désirs (1987), Bo Ba Bu (2000). Parmi les jeunes cinéastes citons Elier Ichmoukhamedov avec Tendresse (1967). Si la censure interdit les films à caractère politique le gouvernement, en revanche, subventionne largement l’industrie du cinéma qui connaît à la fois un succès populaire et est programmé plusieurs festivals en Europe, notamment en France à Vesoul, la Rochelle et Nantes, qui ont permis de faire découvrir les talentueux cinéastes ouzbeks avant 1991 et après comme de la génération des années 1990 à 2000 représentée notamment par Zoulfikar Moussakov et Yousoup Razykov qui a obtenu en 2006 le Grand Prix du Jury International du festival international des cinémas d’Asie de Vesoul avec Le gardien.

 

TAHIR I ZUHRA (TAKHIR et ZOUKHRA)

NABI GANIEV (noir et blanc, 1945)

I. Rizaeva (Zoukhra), G. Aglae (Takhir) Ch. Bourkhanov (karapatyr)

Ce film qui a fait le tour du monde est une variante de Roméo et Juliette. Le même jour naît Zoukhra, la fille du puissant Babokhan, et Takhir, le fils de Baguir, l’un de ses guerriers. Babokhan décide d’élever Takhir à qui il promet sa fille Zoukhra en mariage. Au fil des années les deux enfants s’aiment mais leur bonheur est interrompu par Babokhan qui provoque la mort du père de Takhir. Pour empêcher son fils de se venger il décide de le tuer, mais il ne réussit pas son projet funeste et il n’arrive qu’à l’éloigner à Khorezm. Quand Takhir apprend le mariage forcé de Zoukhra, il se rend auprès de sa bien-aimée. Son père furieux tue sa fille puis Takhir. Les deux jeunes gens se retrouvent pour toujours dans la mort.

 

BELY, BELYE AJSTY (LES CIGOGNES BLANCHES, BLANCHES)

ALI KHAMRAEV (noir et blanc, 1966)

Bolot Beïchenaliev (Kaïoum), Saïra Issaeva (Malika), Khikmat Latypov, Mokhammed Rafikov, Rakhim Pirmukhamedov

Ce film évoque un drame psychologique. Malika, mariée, vit dans le village des Cigognes blanches. Quand elle tombe amoureuse de Kaïoum et réciproquement, les villageois rejettent leur amour. Le père de la jeune femme, tente de comprendre sa fille bien-aimée mais, retenu par le poids des traditions, il hésite à prendre parti. Le film démontre aussi que si le village se modernise dans le domaine de l’agriculture, les mentalités elles n’évoluent guère. A l’époque le film a été interdit.

 

NEZHNOST’ (TENDRESSE)

ELYER ICHMOUKHAMEDOV (noir et blanc, 1967)

Maria Sternikova (Lena), Rodion Nakhapetov (Timour), R. Agzamov (Sanjar), M. Makhmoudova, S. Borodina, Taliat Rakhimov, Choukhrat Irgachev

Le film, qui repose sur trois nouvelles où l’on retrouve les mêmes personnages, se rattache à cette tranche de vie si particulière de l’adolescence. Sanjar, qui s’amuse à descendre le canal sur une chambre à air, voit un jour sur la rive Lena, une jolie jeune fille aux cheveux clairs. C’est le coup de foudre ! Mais Lena aime Timour. Mamoura, une jeune fille de la campagne, rencontre Timour. D’emblée séduite, elle va tenter de revenir au village en espérant le revoir. Mais Lena meurt et Timour ne reviendra pas. Mamoura, triste, a la jeunesse pour elle et ne perd pas espoir… Tendresse est considéré comme le film qui annonce le renouveau du cinéma ouzbek, son époque coïncide avec la naissance des « nouvelles vagues » un peu partout dans le monde.

 

VLYUBLENNYE (LES AMOUREUX)

ELIER ICHMOUKHAMEDOV (noir et blanc, 1969)

Rodion Nakhapetov (Rodin), Anastasia Vertinskaïa (Tania), Roustam Sagdoullaev (Roustam)

Un scénario simple : au sein d’un groupe de jeunes amis Ouzbeks, se trouve un Grec et un Russe. Ce dernier, Rodin, le meneur de la bande, a rencontré une jolie jeune fille, ils sont amoureux. Rodin exerce un métier dangereux, il est pompier et part en missions d’urgences à travers toute l’Asie centrale pour éteindre des incendies. Sa petite amie, durant ses longues absences s’ennuie, ils s’écrivent mais elle rencontre d’autres garçons et finit par partir pour Tachkent pour achever ses études. Peu à peu elle ne répond plus aux lettres de son amoureux qui finit par rentrer. C’est sans surprise qu’il apprend que sa compagne lui a trouvé un remplaçant… Rodin sans esprit de vengeance se tourne vers l’alcool pour noyer son chagrin. Rodin – un héros qui incarne un pompier dévoué, un grand altruiste et un excellent ami – est Russe, comme par hasard… Elier Ichmoukhamedov a été l’un des chefs de file de la nouvelle vague ouzbèke.

 

 BYZ STRAKHA (SANS PEUR)

ALI KHAMRAEV (noir et blanc, 1971)

Tamara Chakirova (Goulsara), Dilorom Kambarova (Kpumri), Roustam Sagdoullaev (Kadyr)

Ce film n’est pas a proprement parlé un film d’amour, mais si j’ai choisi de vous en parler c’est parce qu’il aborde un phénomène important de la société ouzbèke, celui de la femme et de son assujettissement. En effet, comme on le découvre ici, il est très difficile de faire évoluer les mentalités qui retiennent les femmes prisonnières dans un carcan de traditions car, contrairement aux hommes, elles disposent de très peu de liberté. L’histoire se situe en 1927, époque correspondant à un drame historique sur le Koudjoum, le mouvement d’émancipation des femmes, qui les incite au retrait du voile.  Kadyr, un ancien garde-rouge, est devenu président du soviet village de Ak-Tach. Son souhait, faire évoluer les mentalités et créer un monde nouveau. Pour cela il veut commencer par débarrasser les femmes du parandja (manteau de poils de chèvre recouvrant tout le corps de la femme y compris le visage), de la burqa (grand voile noir supporté par une carcasse de bois) dont le port est obligatoire. La première femme qui ose ôter son voile est assassinée. Alors Kadyr s’attaque à autre chose, il veut lancer l’alphabétisation des femmes.  Mais c’est Goulsara, sa propre femme, qu’il doit commencer à convaincre et à encourager. Elle n’arrive pas à comprendre l’importance de cette évolution, tant elle est conditionnée par le poids des traditions. Elle aimerait que son mari l’emmène vivre ailleurs, où personne ne les connaît. Kadyr refuse, et ceux qui sont contre tout changement tente de le tuer. Les femmes finissent par comprendre combien lutter pour plus de libertés est important pour elles, et dans un même élan elles décident de jeter leur voile au feu.

 

L’INSOUMISE

ANATOLI KABOULOV (1981)

Tamara CHAKIROVA (Djoumagoul), Djavlon Khamraev, Karim Mirkhadiev, Nabi Rakhimov, Marat Rakhmatov

L’histoire, inspirée du récit La fille de Karalpakie de Toulepbergen Kaipergenov, se déroule en 1925 dans une ville provinciale d’Ouzbékistan, en Karalpakie. Djoumagoul, une jeune gardienne de moutons, est heureuse, elle vient d’épouser Touroumbet. Mais son bonheur est de courte durée, au lendemain des noces son mari est arrêté par Emberguénov, un milicien local, qui le soupçonne du meurtre d’une jeune femme. Sa belle-mère est exigeante, dure et lui demande une soumission totale. Elle tente en vain de faire libérer son mari. Quand il finit par rentrer au foyer, il a changé et est devenu dur à son égard. Touroumbet accepte de livrer aux opposants antisoviétiques une cargaison d’armes et en échange il reçoit des bijoux qu’il offre à Djoumagoul : parmi eux, elle reconnaît une broche ayant appartenu à son ancienne amie assassinée. Apprenant que son mari entretient des relations avec des contre-révolutionnaires, elle décide de le quitter, de commencer une nouvelle vie. Elle dirige un comité local réunissant des femmes et, révoltée, elle s’engage dans l’armée rouge. Touroumbet reconnaît ses erreurs et décide de combattre les contre-révolutionnaires mais, atteint par une balle, il meurt et Djoumagoul pleure son mari.

 

AYOLLAR SALTANATI (LE PARADIS DES FEMMES)

YUSUP RAZYKOV (2000)

Bakhtyior Zakirov, Nigora Rakhimova, Mokhira Nurmetova

Olmi, professeur et écrivain en panne d’inspiration, traverse une crise existentielle profonde. Celle-ci s’amplifie quand sa femme enceinte le surprend chez de sa maîtresse et quand un de ses amis mourant lui demande de veiller sur sa femme, la belle Zebo. Il part à sa recherche, s’égare et arrive dans un lieu où la féminité est reine, où les femmes sont resplendissantes et vivent dans une harmonie heureuse. Serait-il parvenu au Paradis des femmes ? Rêve-t-il ? Cette contrée imaginaire (ou non) où, semble-t-il, toute la rigueur des traditions a disparu, invite le spectateur à un voyage onirique et merveilleux. Qu’arrivera-t-il quand Olmi découvrira que ces instants n’étaient qu’un rêve ou une autre réalité ?

 

BO BA BU

ALI KHAMRAEV (1998)

Arielle Dombasle (Ba), Abdrachid Abdrakhmanov (Bo), Hodjar Abdullaeva, Farkhad Abdoullaïev, Dimash Akhimov

Bo et Bu, deux bergers analphabètes, trouvent une femme occidentale, rescapée d’un crash, ils capturent la blonde créature qui a surgi de nulle part au milieu des steppes d’Asie centrale. Traumatisée, amnésique, elle est incapable de communiquer. Ils vont la traiter comme un objet sexuel dont ils se sentent les propriétaires. Ils communiquent par gestes, bruits, grognements. Ce drame met en avant la jalousie, les femmes marchandises d’échange, la rivalité masculine, le machisme… Le tout avec un casting éclectique !

 

LITTERATURE

MAMADALI MAHMOUDOV (1940)

Mamadi Mahmoudo, né dans un petit village d’Ouzbékistan en 1940 et connu aussi sous le nom d’Evril Touran, a été un écrivain porté aux nues dès l’indépendance de son pays. Cela n’a pas empêché le nouveau régime de le condamner à 14 ans de prison à la publication de La montagne éternelle dans les années 1980 : « Quand sa femme lui a annoncé, lors d’une des rares visites autorisées, que son roman allait être publié en français, il lui a répondu qu’il était tellement heureux de savoir qu’ainsi il ne serait pas oublié… » L’auteur a reçu le prix Pen Club/Barbara Goldsmith en 2001.

La montagne éternelle

(éd. De l’Aube, 2008) Trad. Philippe Frison

Le récit conte l’histoire de Bauronbek, un jeune Ouzbek, et de Raïhone, la jeune fille qu’il doit épouser, face à des rivaux usant des pires ruses pour la lui ravir. Ce livre, qui est aussi un plaidoyer pour la liberté des peuples, dénonce l’invasion soviétique et l’asservissement qui en résulte. Le roman se situe dans le décor de l’Oqqoya, la Dent blanche, cette montagne éternelle qui veille sur le peuple ouzbek : « sur sa cime poussait un micocoulier, telle une couronne posée sur la tête d’un roi » A la vue d’une belle jeune fille il se souvint du quatrain de Nawaï :

« Ô dieu, est-ce du miel sucré ou des lèvres ?

Ou sont-elles trempées de miel sucré, tes lèvres ?

Coquette, pour darder des flèches dans mon cœur

Tu lances, d’un clin d’œil, un regard enchanteur. »

 

POESIE

Machrab, le vagabond flamboyant, anecdotes et poèmes soufis

(éd. Connaissance de l’Orient / Gallimard, 1993) Traduction établie et présentée par Hamid Ismaïlov avec la collaboration de Jean-Pierre Balpe

Machrab, poète du XVIIè siècle, nous a laissé le récit de ses errances : « mystique et proscrit, Machrab, partout scandaleux, partout pourchassé, se consuma lui-même tout vif, mais ses ghazals de révolte, poèmes dont le lyrisme incandescent ignorait superbement toute règle religieuse ou poétique, sont aussi parfaits qu’originaux ; ils ont continué sans trêve à enflammer l’imagination populaire, et restent préservés dans le cœur et la mémoire des hommes d’Ouzbékistan » (4ème de couverture)

Un jour Machrab rencontra une centaine de servantes de la fille du gouverneur d’Illi, qui se promenaient. L’une d’elle l’interpella par sa beauté : « O Dieu, quelle beauté tu as créée là ! » Puis, s’adressant à elle, il lui dit : « Jeune fille, ton amour a fondu sur mon cœur. Un jour il la rencontra à nouveau, descendit de son dromadaire et après avoir baisé ses pieds, il lui déclama un gazal :

Me torturant moi-même du feu de ton amour, je veux brûler à tout instant,

Je veux être papillon autour de la bougie de ta beauté.

Si, des flèches de tes cils, tu verses mon sang,

Je voudrais, ô beauté, en peindre le monde !

Si je regardais un visage autre que le tien, un autre sourcil,

Je voudrais, avec un poignard, crever mes yeux de ma main.

Si, par pitié, cette voleuse de cœur entrouvrait son voile,

Je voudrais, mes amis, comme un malade, regarder jusqu’à plus soif.

Je suis parti assoiffé dans les steppes de l’amour,

O échanson, verse le vin de notre rencontre : je veux boire à ma soif !

A cause de toi, voleuse de mon cœur, Machrab renonça aux deux mondes… Plains-moi, ô beauté, je veux aller à ta rencontre.

Anthologie de la poésie d’Ouzbékistan

(Tome I et Tome II, Editions du Sandre, 2008), Traduction établie et présentée par Hamid Ismaïlov et Jean-Pierre Balpe

Cette anthologie regroupe une poésie turcophone et iranophone d’Ouzbékistan, dont les plus anciens poèmes remontent au XIIè siècle. Le ghazal, qui signifie « aimer parler avec les femmes », explique Hamid Ismaïlov, reste la forme dominante de la poésie écrite ouzbek : « Dès leur origine les ghazals parlent d’amour (…) Mais ils en parlent d’une façon si particulière. Incluant la permanente confusion entre l’amour terrestre et l’amour mystique, ils chantent la perte de quelque chose comme une communion paradisiaque, l’irréductible séparation des êtres. » Le tome I présente une sélection de poètes du XII au XIX siècle, dont je vous présente ici un choix de poèmes et de gazals, le tome II est consacré aux poètes contemporains. Parmi ces derniers citons, Rauf Parfi (1943-2005), l’auteur du chant Laylo, l’hymne à l’amour de la jeunesse ouzbèke dans les années 1980 ; Muhammad Solhi, né en 1949, qui, hostile au régime, a dû s’exiler en Norvège ; la poètesse Halima Khudoyberdieva, née en 1948, auteur de plusieurs recueils ; Hamid Ismaïlov, né en 1954, qui a fui l’Ouzbékistan en 1992 et vit désormais à Londres ; Jamol Kamol, né en 1938, lauréat de nombreux prix littéraires. Le poète Belgi, né en 1962, a publié trois recueils de poèmes traduits en anglais, allemand et français. Porté disparu, on pense qu’il est mort sous les bombardements en Afghanistan.

HODJA AHMAD YASSAVI (vers 1105-1165)

Fondateur de l’ordre religieux « Yassavia », très populaire en Asie Centrale, ce poète à vécu au Turkestan. Son ouvrage Hikmat (aphorismes), est encore très apprécié aujourd’hui. L’Empereur Tamerlan pour lui rendre hommage à fait élever un tombeau qui est devenu un modèle d’architecture orientale.

Nuits et matins, la Vérité réveille, oblige à pleurer. Elle rend insomniaque, enlace à son amour ton cœur.

Elle te transmet un mal irrémédiable, te force à gémir mais, dans l’au-delà, au-delà des larmes, elle se change en rires.

Contemplant la Vérité, les amants pleurent, se noient dans le fleuve amour où, pêchant des perles,

Ils disent à leur amour leur tristesse : si une de leurs larmes tombent, la Vérité en fait la mer.

Pris dans leurs propres flammes les amants ne brûlent pas : leurs larmes font un jardin du ciel et de la terre

Et s’ils disent « Vérité, ils s’illuminent corps et âmes.

Où es-tu, demandent les amants ? Quelles limites pour les amants demandent ceux qui s’aiment ?

Ni leur bouche ni leur langue ne le demandent, mais leur cœur et, dans le tremblement du monde, trois cent soixante de leurs veines tremblent.

Esclave Hodja Amhad, si tu es un amant, refuse ta vie, ton âme, bois à satiété le vin de l’extase,

Dénonce tes péchés pour alléger ta présence ici-bas ; qui avoue ses péchés monte au paradis.

 

BABOUR (1483-1530)

Né à Andijan Babour, descendant de Tamerlan, créateur de l’empire indien des grands mongols, il a rédigé le célèbre Bébour-Namh. Ses ghazals sont considérés comme reflétant le sommet du genre. 

Ce serait bon, un jour, d’éveiller mon bonheur endormi

Et, comme sa chevelure la nuit, d’entourer sa taille.

Tantôt je sentirais du visage de cette femme aux paroles de miel

Tantôt je goûterais le rubis de son doux visage épanoui.

Où sont Shirin et Leila pour leur apprendre tes coquetteries ?

Où sont Farâd et Madjnoun à qui j’enseignais l’amour ?

Si, dans l’obscur de la nuit, je laisse flamber le feu de mon cœur, si je laisse monter

Les volutes de mon souffle, la clarté du jour prendra la pâleur des astres.

Même si tu es lucide, Babour, compare ses sourcils

Son visage au soleil, à la lune est bien faible.

*

Ma fascination de l’amour m’a tellement déshonorée

Que nul n’a vu un amant déshonoré autant.

Pourtant je me maintenais pur

Mais, par ma folie amoureuse, je suis célèbre par-delà l’horizon.

A cause de la séparation j’avale régulièrement du sang

On ne peut me dire par mes loisirs et ma proximité de l’aimée

Le sheikh interdira peut-être mon poème qui n’a pas la politesse de la perfection

Que faire, O Dieu, avec ce maître imparfait ?

Il n’est pas étonnant que Babour soit fou d’amour

Car l’amour n’est jamais en accord avec la sagesse.

 

MASHRAB (1657-1711)

Ce poète,  l’un des plus populaires de la poésie ouzbèke classique, a fini sa vie tragiquement. Accusé d’opinions panthéistes, il a été pendu et sa vie comme sa mort ont fait naître bien des légendes.

Si je déclare la force de mon amour, l’âme et la lumière du monde souffrent

Si j’explique le secret de cette passion, la voûte du monde souffre.

Si une seule étincelle du feu de la passion touche un être,

il hurle

Il n’a plus de patience ; son cœur, sa poitrine souffrent.

En l’absence de tous, je suis sans cesse brûlé par notre séparation et

Si, disant « amie », j’effleure ton nom, ma langue souffre de joie. (…)

 

FITRAT (1886-1938)

Né à Boukhara, il est envoyé en Turquie en 1911 où il subit l‘influence de la jeunesse estudiantine turque et dont il introduit les idées à Boukhara qui le conduisent à devenir, dans les années 1920, un idéologue de la révolution démocratique de Boukhara ; Quand les Russes débarquent il abandonne la politique et se consacre à la littérature, mais critiqué il est arrêté et meurt dans les prisons staliniennes en 1938.  Avec le poète Chulpon il est considéré comme l’un des fondateurs de la poésie moderne ouzbèke.

Pourquoi cela ?

Quand tu es venue…

Pour mon poème –

Couverte de roses rouges,

Faites d’étoiles –

Les routes les plus larges se sont ouvertes.

Quand tu es venue…

Les épais rideaux noirs

Qui couvraient mon cœur

De misère et de tristesse

Se sont déchirés.

Quand tu es venue…

Mes rêves

Etaient au jardin des fleurs

D’espoir et le regret fleurissait ;

Comme un rossignol,

Ils chantaient.

Mais toi

Ne sentant rien

De la peine de mon cœur, enflammé

D’amour pour toi

Tu souriais

Alors que j’étais tout en feu… Pourquoi cela ?

 

CHULPON (1897-1938)

Considéré comme le fondateur de la poésie ouzbèke moderne, il a durant la période du « Basmachi » (1917, lutte nationaliste contre la révolution russe), écrits des poèmes qui ont été chantés par les insurgés. Traducteur d’une part importante de la littérature mondiale, il est lui aussi mort tragiquement dans les prisons staliniennes pour avoir fait figure de poète nationaliste.

Tu es lumière vacillante et trouble, pauvre homme,

Si le vent souffle plus fort tu disparais.

Comme l’âme d’un amoureux déçu par son amour

Tu étincelleras une fois et t’en iras dans l’insignifiance.

 

USMON NOSIR (1913-1944)

Après ses études à Samarkand puis à Tachkent, étudiant très apprécié du poète Fitrat, il se lance dans la traduction en ouzbek du poème Le Démon de Mikhaïl Lermontov. Arrêté en 1938 par le NKVD (principale organisation de la police secrète soviétique de 1934 à 1946), il lui a été interdit d’écrire jusqu’à sa mort en 1944, il avait à peine trente ans.

Mon cœur

Mon cœur, tu es mon instrument

Accompagné par la flûte de ma langue

Tu caches la lune avec mes yeux

Mon cœur, je suis ton mélomane.

Ma poitrine est devenue trop petite pour toi

Ton exaltation me submerge.

Parfois ma langue se fatigue

à te traduire.

Tu es beauté chantante

Cherche ton amour pour l’extase,

Tu papillonnes et dans avec joie

Tant que tu es en vie, chante tout ce que tu possèdes.

Alisher Navoï, gazals et autres poèmes

(éd. Orphée/La Différence, 1991) Trad. du turc d’Ouzbékistan par Hamid Ismaïlov, adapté par Jean-Pierre Balpe

Alisher Navoï (1441-1501), né à Hérat situé dans l’actuel Afghanistan) vit à l’époque de la splendeur de l’empire Timouride (1405-1507), les descendants de Tamerlan. Ami du prince il a, tout en occupant des fonctions politiques et militaires, laissé une œuvre littéraire importante qui est souvent récitée ou chantée encore aujourd’hui. Les éditions Géorama ont également publié en 2007 une traduction de ses poèmes.

Gazals

Le gazal ou gazel est une forme poétique traditionnelle d’origine persane, que l’on retrouve dans toute l’Asie centrale, l’Inde mogole.  Le mot ġazal désigne à la fois la chanson d’amour et la poésie courtoise. Le terme est arabe mais il est passé en persan, en turc, en ourdou.  Les vers sont des quatrains ou distiques.  Les poèmes ouzbeks évoquent le plus souvent l’amour, la séparation, la femme, Dieu. Le visage de la femme aimée est comparé à la lune ronde et pâle, sa silhouette à un cyprès.

J’interroge ma flamme intérieure : elle répond que ce feu qui s’étend

N’est que le reflet des brasiers de l’Amour en mon cœur.

Plein d’espoir, je suis sorti sur son chemin,

Mon âme m’est venue à la bouche mais elle, acariâtre et fantasque, elle n’est pas venue,

Même si, sous la lune aussi lumineuse que son visage, ce n’est que prudence,

Elle n’est pas venue non plus quand il faisait aussi noir que dans mon destin

Il n’y a pas de soupirant fidèle sinon, lorsqu’il fait un pas sur son chemin,

Pourquoi ce pas ne le mène-t-il pas à son aimée ?

J’ai en moi mille flammes mais n’en peux laisser paraître une :

Si j’en montrais une seule, le monde s’embraserait.

Si sur mon corps, tu vois mille brûlures, ne sois pas étonné :

J’ai laissé paraître l’une de ces mille flammes intérieures.

Ne me dis pas : « Cache ta souffrance ! » Car même si je cache

Cent mille souffrances, je n’en cache pourtant qu’un millième.

Roubaï

Un roubaï est un poème en quatre vers.

Je t’aime plus que ma vie : combien ta vie m’est chère !

Je t’aime au-delà des nombres : combien ta vie m’est chère !

S’il pouvait y avoir plus d’amour que de vie,

Je t’aimerais plus que tout cela encore : combien ta vie m’est chère !

*

De la douleur et la tristesse, mon cœur presse le sang de l’amour.

Par la voie des yeux il fait couler ce sang d’amour,

Mais j’ignore ce qu’il fait de chacune des gouttes car l’amour agit de telle sorte que je n’ai plus de cœur.

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